ANALYSE. Météo France a publié, lundi 1er février, de nouvelles projections climatiques pour la métropole. Réalisés avec les climatologues de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), du Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique (Cerfacs) et du Centre national de Recherches Météorologiques (CNRM), ces travaux tentent de répondre à une question simple : comment le climat va-t-il évoluer au cours du XXIe siècle ?
Par Valéry Laramée de Tannenberg
Les scientifiques se sont appuyés sur les résultats de modélisations du climat global (on les appelle les Global Climate Model, GCM), des modèles régionaux à plus faible maille géographique (en toute logique, ils se nomment Regional Climate Models, RCM). Le tout couplé à des scenarii d’émission mondiaux basés sur différentes trajectoires de croissance démographique, de développement économique, de déploiement de technologie et de choix politiques et sociétaux.
Seuls trois de ces « profils représentatifs d’évolution de concentration » (RCP), utilisés dans le 5e rapport d’évaluation du Giec ont été utilisés dans cet exercice. Sobre en consommation d’énergie et de ressources naturelles, RCP 2,6 annonce un réchauffement inférieur à 2 °C entre la fin du siècle dernier et 2100. Le RCP 4,5 nous promet un réchauffement voisin de +2,6 °C pour la même période. C’est le niveau de réchauffement auquel on peut s’attendre si tous les Etats respectent dans la durée leurs engagements climatiques actuels. La dernier n’est pas le moindre : RCP 8,5 esquisse une montée en température globale proche des 5 °C. C’est malheureusement cette tendance que nous suivons actuellement !
Avec ces jeux de données, les chercheurs ont évalué l’évolution de la température moyenne, du nombre de nuits « tropicales » et de jours de gel, des précipitations extrêmes, le cumul des précipitations, etc. Le tout étant, par la suite, comparé à ces mêmes indicateurs évalués durant une période de référence : 1976-2005, dans le cas présent.
Les chercheurs rappellent que leurs projections intègrent certaines sources d’incertitude, comme la variabilité naturelle du système climatique (épisodes El Niño, par exemple), l’imprécision des modèles numériques (surtout à petite échelle), l’évolution des politiques climatiques nationales. Connues de longue date, ces imprécisions ne disqualifient pas l’intérêt de ce genre d’études.
Quels sont les principaux résultats ? La hausse des températures est l’indicateur qui a été le plus commenté. La température moyenne est en hausse pour les trois scénarios. Le réchauffement est continu jusqu’en 2100 pour les RCP4.5 et 8.5, avec des valeurs médianes atteignant, respectivement, +2,1 °C et +3,9 °C, et jusqu’à +2,7 °C et +4,9 °C dans l’enveloppe haute de la distribution.
La hausse de température est plus forte l’été dans les scénarios RCP4.5 et RCP8.5 avec respectivement +2,2 °C et +4,5 °C en valeur médiane et jusqu’à +3,3 °C et +6 °C dans l’enveloppe haute de la distribution. Le réchauffement présente un gradient sud-est/nord-ouest avec une différence de 1 °C entre ces deux zones. Le réchauffement est également plus marqué en montagne. Il n’est pas exclu que certains massifs alpins et pyrénéens subissent des hausses de +6 °C.
Les trois scenarii annoncent une baisse du cumul de précipitation, compris entre +2 % et +6% selon les horizons et les scenarii. Cette tendance est assortie d’une grande incertitude, indique Météo France. Explication : l’Hexagone est situé dans une zone de transition climatique à l’échelle continentale, entre hausse des précipitations au nord et baisse au sud. Difficile à évaluer sur l’année, l’évolution des précipitations sera plus marquée en hiver (+10 %) et en été (-10 à -20 % en 2100). L’enveloppe basse du RCP8.5 prévoit une division par deux du cumul de précipitation estival. Dans l’avenir, il pleuvra et neigera un peu plus dans le nord et un peu moins dans le sud.
Unanimité pour la croissance du nombre jours de forte chaleur ou de canicule : tous les scenarii en pincent pour une augmentation du risque de vague de chaleur. Vers 2100, le nombre de jours très hot pourra doubler (RCP2.6), quadrupler (RCP4.5), voire décupler (RCP8.5). Inconnues au nord de la Loire, les nuits durant lesquelles la température ne descend pas en dessous de 20 °C (les nuits tropicales) pourront devenir habituelles. Leur nombre pourra atteindre (hors région méditerranéenne) 25 jours en scénario RCP4.5, voire 50 jours en RCP8.5. Cette montée du mercure est exacerbée dans l’arc méditerranéen, le couloir rhodanien et la vallée de la Garonne, souligne Météo France. Dans ces régions, les vagues de chaleur et journées caniculaires pourront s’étaler sur des périodes supérieures à un ou deux mois en été.
Si l’été avance, l’hiver recule. Le nombre de jours de vagues de froid ou de gelée est en baisse dans tous les scénarios avec une intensité dépendant fortement du scénario et de l’horizon temporel. En fin de siècle, le nombre de jours froids pourra être divisé par deux avec un scénario RCP2.6 mais se réduire à 1 jour par an en moyenne en RCP4.5 et RCP8.5. À l’identique, le nombre de journées de gel pourra être divisé par deux en scénario RCP2.6 tandis qu’en scénario RCP4.5 et RCP8.5, les gelées pourront devenir un événement rare. Paradoxe : le froid diminuera particulièrement dans les régions les plus froides, comme l’Est de la France et les montagnes.
Les épisodes de pluies extrêmes (à l’instar des orages cévenols) augmentent partout et régulièrement, quel que ce soit le scénario considéré. Les régions les plus exposées sont les marches du Nord et du Nord-Est et le littoral de la Manche. « L’intensité de la hausse attendue de 3 à 6 mm correspond à une variation de l’ordre de 10 % », indique Météo France.
Pour les sécheresses estivales, c’est presque l’inverse. En scénario RCP2.6, la durée de ces épisodes évolue peu, voire diminue. Avec les scénarios RCP4.5 et RCP8.5, ces épisodes augmentent en fin de siècle respectivement de l’ordre de 5 à 10 jours soit une augmentation de 30 à 50 %. Le pourtour méditerranéen, le bassin aquitain, la Bretagne et le Pays de la Loire sont les régions les plus concernées par ces évolutions.
Plus incertaine, en revanche, est l’évolution des vents forts. Globalement, les régions ayant une plus forte probabilité de renforcement du vent est le quart nord-est, voire la moitié nord. À l’inverse, la probabilité de la plus forte diminution du vent concerne la moitié sud et particulièrement le sud-ouest. Pas grave, il n’y a quasiment pas de parc éolien en Nouvelle-Aquitaine.
Ce n’est pas le premier exercice de projection auquel se livrent les climatologues français. En 2014, les scientifiques avaient déjà évalué l’importance et la vitesse du réchauffement et de certaines de ses conséquences. Si, globalement, les résultats sont comparables entre les deux études, on pointe tout de même quelques différences.
L’édition 2020 annonce un réchauffement plus important, de l’ordre de +0,45 °C, que celle de 2014. Dans tous les scenarii de 2020, la température augmente en toute saison. Ce qui n’était pas le cas précédemment. Concernant les précipitations, la dernière mouture semble plus précise. Elle affiche notamment un assèchement supérieur à celui annoncé il y a 7 ans du sud de la France. A contrario, il pleuvra davantage sur l’Ouest, nous annonce Drias 2020.
Quelles conclusions tirer de tout cela ?
D’abord, et malgré les incertitudes et les imprécisions, on peut avoir confiance dans ces projections (qui ne sont pas des prophéties). « Le climat que nous connaissons aujourd’hui est globalement compatible avec les projections présentées en 1990 dans le premier rapport du Giec. Ceci concerne aussi bien le rythme de réchauffement et son amplification dans les régions de l’Arctique que l’accélération de l’élévation du niveau de la mer », rappelle le climatologue Jean Jouzel.
Deuxième enseignement : si l’on peut faire confiance aux modélisateurs, on doit tenir compte des résultats de leurs calculs. « Pour que les jeunes d’aujourd’hui puissent s’adapter au climat qu’ils connaîtront dans la seconde partie de ce siècle, il faut enclencher, de façon urgente, une réduction des émissions suffisamment rapide et massive pour que la neutralité carbone soit atteinte, si possible dès 2050 », résume Jean Jouzel. C’est d’autant plus vrai que ces modélisations utilisent les scénarios du dernier rapport du Giec et des jeux de données « anciens ». Les modélisations intégrées au prochain rapport du Giec, publié cet été, risquent d’être plus pessimistes que celles des chercheurs français.
Cela m’amène à une dernière conclusion. Les stratégies climatiques françaises (SNBC, PNAC), régionales (Sraddet, Acclimaterra), locales (PCAET) ou sectorielles (programme Laccave sur la viticulture) sont basées sur les modélisations de l’édition 2014 de Drias. Elles doivent être remises urgemment au goût du jour. Faute de quoi, des choix structurants en matière d’infrastructures, d’agriculture, de gestion des eaux ou d’urbanisme pourraient être faits sur de mauvaises bases, régionales en particulier.
Cet article ne peut être reproduit sans le consentement de son auteur.
Les figures 2 à 8 sont tirées du rapport de Météo France, Les nouvelles projections climatiques de référence pour la métropole (DRIAS 2020).