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Overseas Highway, Florida Keys. Jack Parrott. 2013. CC BY 2.0

C’était réglé comme du papier à musique. Le 10 février, le gouvernement Castex a lancé une opération de communication préalable à la présentation, au parlement cette fois, de son projet de loi issu des travaux de la Convention citoyenne sur le climat (CCC). « Nous allons faire entrer l’écologie dans la vie quotidienne », a scandé, sur les réseaux sociaux et dans les médias, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili. En face, une poignée de militants écologistes bloquée par les forces de l’ordre, place des Saussaies à Paris. Leur message : l’ambition de la loi est insuffisante !

 

Par Valéry Laramée de Tannenberg

 

Mais au fait, de quoi parlent-ils ?

 

Pour bien tout comprendre, un petit saut dans le temps s’impose. Arrêtons notre machine à remonter le temps au 10 juillet 2018. Ce jour-là, au cours d’un discret colloque tenu dans les sous-sols de la Bibliothèque nationale de France, le ministre de la Transition écologique d’alors (un certain Nicolas Hulot) reconnaît officiellement que la France ne tiendra pas ses engagements climatiques.

 

Budgets carbone

 

Adoptés en 2015, les trois premiers budgets carbone imposent à la France de ne pas émettre plus de 450 millions de tonnes eq CO2 par an (Mt éqCO2/an) entre 2015 et 2018, 400 Mt éqCO2/an entre 2019 et 2023 et 350 Mt éqCO2/an entre 2024 et 2028. De l’aveu du créateur de la Fondation pour la nature et l’homme, le premier budget sera dépassé et la tenue du second « ne sera pas plus simple ». De fait, le premier budget carbone tricolore a été pulvérisé. Ce qui vaut à la France quelques ennuis judiciaires, notamment devant le tribunal administratif de Paris.

Pour convaincre les Français de sa volonté d’aller de l’avant sur les questions climatiques, Emmanuel Macron a innové. Non pas en instaurant une taxe carbone efficace et juste, mais en convoquant des Etats généraux du climat. Une Convention citoyenne pour le climat (CCC), comme les communicants modernes baptisent cet aréopage de 150 Français tirés au sort. D’octobre 2019 à juin 2020, ces Français représentatifs des Français ont écouté des flopées d’experts, ont débattu, ont douté. Avant de remplir leur mission, non sans brio.

Fin juin 2020, la CCC a présenté 149 mesures destinées à permettre à la France d’atteindre son but en matière de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES). Ce faisant, les Conventionnels fournissent à l’exécutif le mode d’emploi pour réduire de 40 % les rejets carbonés entre 1990 et 2030.

Contrairement à son engagement premier, le président de la République ne reprend pas « sans filtre » leurs propositions. L’abaissement de 20 km/h de la vitesse limite sur autoroute, la réécriture du préambule de la Constitution pour placer l’environnement au-dessus des autres valeurs fondamentales de la République ne sont, par exemple, pas retenus par le chef de l’exécutif.

 

Tableau tiré du résumé de l’étude d’évaluation d’impact des mesures prises depuis 2017 sur la réduction des gaz à effet de serre en France à horizon 2030, Boston Consulting Group, 2021.

Tableau tiré du résumé de l’étude d’évaluation d’impact des mesures prises depuis 2017 sur la réduction des gaz à effet de serre en France à horizon 2030, Boston Consulting Group, 2021.

 

Durant l’été, les premiers groupes de travail esquissent le projet de loi. Porté par Barbara Pompili, ce texte ne reprend pas toutes les mesures validées par Emmanuel Macron.

Fort de 69 articles, le texte prévoit la création d’une cinquantaine de mesures, dans les domaines de la consommation, du travail, de la mobilité, du logement, de l’alimentation. Sans oublier trois articles « renforçant la protection judiciaire de l’environnement » ou ceux permettant de réformer par ordonnance le code minier. On est loin des 149 idées portées par les citoyens. Mais il n’a jamais été dans l’esprit de l’administration Castex de reprendre toutes les propositions dans la loi « climat et résilience ».

Certaines mesures seront intégrées, à l’automne, au prochain projet de loi de finances, comme le chèque alimentation. D’autres seront transcrites par la réglementation, à l’image de l’interdiction des chaudières au fioul dans les constructions neuves. Certaines idées sont d’ordre communautaire, comme l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe. D’autres relèvent de modalités plus exotiques, à l’instar des « campagnes de communication et de sensibilisation de l’Ademe ».

Alors, efficace, le projet de loi Pompili ? Difficile de répondre avant la conclusion des débats parlementaires (on imagine déjà la montagne d’amendements) et, surtout, la publication des décrets d’application. Certains se sont pourtant livrés à l’exercice.

 

Un manque d’ambition ?

 

Dans un avis rendu le 27 janvier, le Conseil économique social et environnemental (Cese) estime que le texte va dans le bon sens, mais manque d’ambition. Les sages recommandent notamment d’alourdir de nouveau la fiscalité des carburants et combustibles fossiles, via la contribution climat énergie, gelée au début du mouvement des Gilets jaunes. « Ce projet de loi cède en effet largement le pas à l’incitation et aux simples encouragements à changer de pratiques là où une intervention des pouvoirs publics est requise », écrivent, de leur côté, 110 associations dans une lettre ouverte au président de la République.

Le gouvernement avait anticipé cette volée de bois vert. En même temps qu’il publiait son projet de loi, le ministère de la Transition écologique rendait publiques les conclusions d’une évaluation de l’impact des politiques climatiques engagées depuis 2017. Réalisé par le Boston Consulting Group (BCG), l’audit rappelle d’emblée que les mesures du projet de loi « correspondent souvent soit à des accélérations ou à la fixation d’objectifs plus ambitieux de mesures existantes, soit à la création de nouveaux leviers pour atteindre des objectifs déjà définis […] De ce fait, isoler l’impact de ces mesures est un exercice presque impossible. »

Dans un très long avis, publié le 11 février, le Conseil d’Etat tire à boulets rouges sur le projet de loi Pompili : mauvaise architecture juridique du texte, « insuffisances notables de l’étude d’impact », imprécisions coupables. Le juge suprême administratif juge illégales les mesures visant à interdire les publicités en faveur des énergies fossiles. Les magistrats jugent que les objectifs assignés au gouvernement en matière de lutte contre l’artifialisation des sols sont trop généraux pour être encadrés par voie d’ordonnance. En outre, le Conseil d’Etat est défavorable aux dispositions, incohérentes, créant et réprimant l’écocide.

 

 

Quelle évaluation ?

 

Les consultants soulignent toutefois que les émissions (domestiques) françaises ont baissé de 18 % entre 1990 et 2018. Ce qui rend, théoriquement, possible d’abattre de 40 % les rejets de GES entre 1990 et 2030. A condition « d’engager des moyens inédits et une mobilisation massive et pérenne de l’ensemble des composants de la Nation », précisent les consultants.

Ces débats soulignent l’importance de disposer d’un système d’évaluation de l’empreinte carbone du travail législatif. Une remarque déjà faite, en décembre 2019, par le Haut conseil pour le climat (HCC).

Ils montrent aussi l’incapacité du gouvernement et du parlement français à saisir l’ampleur de l’enjeu climatique. Cette année, la Commission, le Parlement et le Conseil européens ont adopté une nouvelle ambition climatique. Entre 1990 et 2030, les 27 devront collectivement réduire de 55 % leurs rejets de GES. Le précédent objectif (qui reste celui du projet de loi Pompili) visait une diminution de 40 %.

Pour se donner les moyens de son ambition, l’Europe réécrit ou produit une trentaine de directives et règlements dans des domaines aussi divers que les aides d’Etat, la définition des investissements verts (taxonomie), une taxe carbone aux frontières, l’économie circulaire, la replantation de forêts, l’efficacité énergétique des bâtiments, les émissions carbonées des transports et des installations industrielles. Sans oublier la nouvelle politique agricole commune ou la réforme du marché du carbone européen. Ce corpus juridique encadrera le Pacte vert, qui ambitionne, lui, de décarboner l’économie européenne. Avec des financements à la clé.

 

L’arsenal européen

 

Doté de 750 milliards d’euros, le programme de relance post-Covid se focalise principalement sur la transition écologique et le numérique. Les plans de relance nationaux, en partie financés par le programme « Next Generation EU », devront s’y conformer. En plus de cette manne exceptionnelle, les Etats pourront compter sur la redistribution du cadre financier pluriannuel (CFP). Etabli pour la période 2021-2027, le prochain budget de la Commission européenne est doté de 1 074 milliards d’euros.

Au total, l’Europe dispose d’un budget de 1 800 milliards d’euros pour les 6 prochaines années. Le tiers de cette manne, soit 550 milliards, seront consacrés à la lutte contre le changement climatique, selon l’accord intergouvernemental conclu en juillet 2020. A cela, on peut ajouter les financements de la Banque européenne d’investissement (BEI, la banque publique de l’Europe). La banque basée au Luxembourg promet de participer au financement de 1 000 milliards d’euros de projets climatiques ou environnementaux d’ici à 2030. Dès 2025, 50 % de ses investissements seront fléchés vers l’environnement, contre 31 % en 2019.

Réduire les émissions carbonées d’une économie fonctionnant largement sur les énergies fossiles et s’adapter aux conséquences des changements climatiques ne sont pas des problèmes qu’une loi peut régler. Il s’agit d’un projet de société qui doit mobiliser la société à temps complet, au moins le temps d’une génération. La Commission européenne l’a enfin compris. Les gouvernements nationaux, dont le nôtre, pas encore. Aux électeurs de lui faire entendre raison.

 


 

Cet article ne peut être reproduit sans le consentement de son auteur.

 

Article mis à jour le 11 février 2021 à 17h55 : ajout de l’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi « climat-résilience ».