Le Haut conseil pour le climat publie, ce 30 juin, sa troisième évolution des politiques climatiques françaises. Verdict : pourrait mieux faire.
Par Valéry Laramée de Tannenberg
Funeste coïncidence. Au moment où le Sénat adopte sa version du projet de loi « climat et résilience », le Haut conseil pour le climat (HCC) publie son évaluation annuelle des politiques climatiques tricolores. Avec un zéro pointé dans les deux cas.
Gouvernement et parlement français s’obstinent, d’un côté, à légiférer pour que la France réduise de 40 % ses émissions de gaz à effet de serre (GES) entre 1990 et 2030, alors que l’objectif européen s’établit, pour la période, à -55 %.
A la lecture du troisième rapport annuel du HCC, la politique climatique hexagonale apparaît comme un véritable trompe-l’œil. Dans l’absolu, tout est pourtant d’équerre. Le cadre européen (celui de 2008, désormais obsolète) fixe l’objectif. Celui-ci est rappelé dans plusieurs lois (croissance verte, énergie et climat). Il est, plus ou moins décliné par secteurs dans la stratégie nationale bas carbone (SNBC). Une stratégie rythmée par des budgets carbone quinquennaux : des plafonds d’émissions ambitieux, mais non contraignants. L’adaptation n’est pas oubliée. Elle fait déjà l’objet de deux plans nationaux (les PNACC), dont le caractère foutraque n’a échappé à personne.
Provenance des émissions territoriales de gaz à effet de serre de la France en 2019. Troisième rapport annuel du HCC.
Résultat ? Négligeable. Entre 2018 et 2019, souligne le HCC, la France n’a réduit ses émissions territoriales que de 1,9 %, principalement grâce à la météo, la conjoncture économique et aux quelques efforts réalisés dans les secteurs de l’industrie, du bâtiment (on se chauffe de moins en moins au fioul) et de la transformation d’énergie. La baisse du cheptel bovin permet à l’agriculture, deuxième émetteur français, d’abaisser ses rejets de GES de 1,2 %.
Premiers contributeurs national au renforcement de l’effet de serre, les transports ont vu leurs émissions stagner : les efforts accomplis par les camionneurs étant compensés par l’augmentation des distances parcourues par les automobilistes et les chauffeurs de camionnettes. Un hiver plutôt clément a réduit les besoins en chauffage, minorant du même coup l’activité du raffinage. Globalement, les émissions imputables au secteur énergétique chutent de 5 % en un an. La baisse du chiffre d’affaires des aciéries et des chimistes explique, pour une bonne part, les bons résultats de l’industrie (-3 %).
Source: troisième rapport annuel du HCC.
Finalement, les émissions métropolitaines se sont établies, en 2019, à 436 millions de tonnes équivalent CO2 (Mtéq.CO2). Auxquelles il faut ajouter les 227 Mtéq.CO2 imputables à nos importations. Globalement, l’empreinte carbone de chaque Français flirte encore avec les 10 tonnes annuelles de GES. Atteindre nos objectifs internationaux (la neutralité carbone) suppose de ne pas émettre plus de 2 tonnes par personne et par an. Serions-nous en retard sur notre plan de marche ?
Affirmatif, répondent les rapporteurs du HCC. Pour tenir ses propres engagements, la France devrait réduire de 3 % l’an ses rejets de GES et accroître régulièrement le rythme de sa décarbonation. Nous n’y sommes pas du tout. Le premier budget carbone (2015 à 2018) n’a pas été tenu. Le second (2019-2023) le sera, peut-être, grâce à une opportune révision de la SNBC qui a relevé son plafond d’émission ou minoré son ambition, comme on voudra. Gare, d’ailleurs, au rebond économique post-Covid 19 qui devrait voir rebondir notre empreinte carbone. C’est si bon de consommer un bon coup après le confinement !
Faute de changements structurels, la France n’a aucune chance de tenir ses promesses climatiques.
Faute de changements structurels, la France n’a aucune chance de tenir ses promesses nationales, européennes ou internationales. Et l’exemple vient de haut. Sur les 10 ministères qui devaient publier leur feuille de route climatique (exercice imposé par le Premier ministre), seuls deux l’ont fait : la transition écologique et Bercy. Encore bravo. Autre promesse non tenue : l’évaluation climatique des grandes lois du quinquennat. Important, pourtant de montrer au législateur l’impact de sa production sur le climat.
Onze des treize régions de métropole ont publié leur stratégie. Problème, ces Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) ne sont pas forcément articulés avec la stratégie nationale (SNBC), celle des régions voisines, ni avec celles des intercommunalités qui peinent encore à définir leurs priorités locales. Last but not least, chaque région évalue à sa sauce le montant de ses émissions. Un détail !
Faute de contraintes, les 22 priorités définies par la fameuse SNBC resteront, probablement, lettre morte. Dans son rapport, le HCC estime qu’une seule à des chances d’atteindre ses objectifs. En revanche, « trois n’ont pu être évaluées, six ne sont pas mises en œuvre ». Le mystère plane encore pour les douze autres.
Pareil discours pourrait être tenu pour l’adaptation aux changements climatiques. Ennuyeux. « Car les deux tiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés au risque climatique », rappelle la géographe Magali Reghezza-Zitt. Déjà révisé, le PNACC définit une soixantaine « d’actions disparates » qui gagneraient à voir leur niveau d’ambition rehaussé. Utile aussi que ces actions soient régulièrement évaluées, un biais systématique dans les politiques climatiques tricolores. « Il n’est pas possible de continuer à émettre des gaz à effet de serre en pensant qu’il sera possible de s’adapter à n’importe quel changement climatique », résume Corinne Le Quéré, la présidente du HCC.
Renforcer notre action ? C’est possible. Sans que cela soit particulièrement compliqué. Il conviendrait, par exemple, de clarifier nos politiques publiques. En avançant, par exemple, à 2030 (comme au Royaume-Uni) la date d’interdiction de mise sur le marché de voitures neuves à moteur thermique. De quoi orienter définitivement la stratégie des constructeurs automobiles vers l’électricité et l’hydrogène.
Évolution sectorielle des émissions de gaz à effet de serre de la France depuis 1990. Troisième rapport annuel du HCC.
Les ministères doivent architecturer leur politique autour de l’atténuation et de l’adaptation. Les différents échelons du mille-feuille administratif français doivent agir en cohérence les uns avec les autres. Pas question non plus de persévérer dans notre habituel stop and go. Corinne Le Quéré souhaite notamment que les investissements fléchés vers le climat par le plan de relance post-Covid soient maintenus dans la durée. Quitte à réviser quelques traités européens. « Nous pourrions faire sortir des critères de Maastricht les investissements publics consacrés à l’atténuation et à l’adaptation », propose la climatologue.
Source: troisième rapport du HCC.
Alors que l’Office national des forêts s’apprête à engager un important plan social, le HCC suggère aussi qu’une plus grande attention soit portée, précisément, aux forêts. Sous les coups de boutoir de sécheresses toujours plus longues et plus nombreuses, les massifs (métropolitains et guyanais) absorbent de moins en moins de carbone. La SNBC leur « imposent » de stocker une quarantaine de millions de tonnes de gaz carbonique par an. Ce qui était effectivement la performance des puits de carbone forestiers au début de la précédente décennie. Depuis, les capacités d’absorption du carbone par les sols forestiers et agricoles ont chuté de 20 %. Cette tendance pourrait s’aggraver avec les conséquences du réchauffement et de l’artificialisation des sols.
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