Le changement climatique est un phénomène mondial mais le réchauffement n’est pas uniforme partout sur Terre, dans l’atmosphère ou dans les océans. Bien que la température de l’air à la surface de la Terre augmente, le rythme de ce réchauffement a connu un ralentissement entre 1998 et 2012 par-rapport à la période 1951-2015. Est-ce le signe que le changement climatique est en train de ralentir ?
Le réchauffement de la surface de la Terre fait un « break », une sorte de pause mais il n’en poursuit pas moins sa route ascendante même si le rythme est moins soutenu. Ainsi, les trois années les plus chaudes jamais enregistrées (2005, 2010 et 2014) l’ont été lors de la dernière décennie. Les climatologues appellent cette pause un hiatus, dans le sens où le climat continue à changer, mais ce changement n’apparaît que faiblement dans le rythme d’augmentation de la température moyenne à la surface de la Terre. Ce hiatus – entre 1998-2012, par rapport au rythme du réchauffement de 1951-2012, réjouit à tort les climato-sceptiques qui veulent y voir la preuve que la communauté scientifique et les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) se fourvoient sur la nature du changement climatique.
Or ce hiatus « ne change rien aux modèles de climat et aux réponses attendues sur plusieurs décennies en réponse à l’augmentation de l’effet de serre » expliquent la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte (LSCE) et le chercheur Christophe Cassou (CNRS-CERFACS)[1].
L’océan est une éponge à énergie
Le réchauffement se poursuit mais avec des disparités. En effet, le hiatus se manifeste dans le réchauffement à la surface des océans ou bien dans les eaux de mer en profondeur, mais pas dans le réchauffement de l’air au-dessus des continents.
Les chercheurs ont ainsi mis en évidence « le rôle absolument essentiel des océans, qui accumulent l’immense majorité de l’énergie accumulée par le système climatique du fait de l’augmentation de l’effet de serre, alors que l’atmosphère ne stocke pas d’énergie », comme le soulignent Valérie Masson-Delmotte et Christophe Cassou. Les océans continuent à emmagasiner l’énergie, et le niveau des eaux qui reflète à la fois le réchauffement de l’ensemble des océans et la fonte des glaciers continue également à monter à un rythme constant.
Les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités humaines ont pendant la période du hiatus continué à modifier les échanges de rayonnement entre la Terre et l’espace, avec un effet réchauffant dû à l’augmentation de l’effet de serre, en partie compensé par l’effet « parasol » refroidissant des particules de pollution. En parallèle, un minimum d’activité du Soleil et une petite activité volcanique ont également agi dans le sens opposé. Mais ces effets ne suffisent pas à expliquer le hiatus.
La température moyenne à la surface de la Terre ne reflète pas l’accumulation totale d’énergie dans le système climatique
Le rythme du réchauffement à la surface de la Terre est de fait modulé par la variabilité naturelle des échanges de chaleur entre les océans et l’atmosphère. Celle-ci est organisée en grands modes de variabilité, dans l’océan Atlantique avec l’oscillation multi-décennale de l’Atlantique et dans l’océan Pacifique avec le phénomène ENSO (El Niño Southern Oscillation), ou encore l’oscillation décennale du Pacifique (Pacific Decennal Oscillation). La contribution du seul Pacifique au phénomène de hiatus serait de l’ordre d’un tiers.
Les études les plus récentes[2] insistent sur « l’importante contribution de la variabilité naturelle du Pacifique tropical [qui, ndlr] joue un rôle majeur dans le ralentissement du réchauffement global observé », selon le Groupe d’étude de l’atmosphère météorologique[3]. « L’intensification récente des alizés aurait provoqué un transfert de chaleur de la surface vers la subsurface de l’océan Pacifique tropical, via le renforcement des courants océaniques. » toujours selon le GAME.
Le réchauffement, c’est (un peu) le réchauffement de l’atmosphère, un peu (plus) le réchauffement des sols et la fonte des glaces mais d’abord l’énergie toujours plus grande accumulée dans les océans. Valérie Masson-Delmotte le chiffre ainsi : 1 % pour le réchauffement de l’atmosphère, 3 % le réchauffement des sols, 3 % la fonte des glaces et 93 % le réchauffement des océans, où l’énergie thermique continue à s’accumuler de façon constante. L’indicateur couramment utilisé pour décrire le réchauffement climatique, c’est à dire la température moyenne à la surface de la Terre ne reflète donc pas l’accumulation totale d’énergie dans le système climatique.
La fin du hiatus ?
Mais alors, à quand la fin du hiatus ? Les chercheurs du GAME anticipent « une prochaine ré-accélération du réchauffement global ». Compte tenu de leurs simulations, ils estiment que « le réchauffement a vocation à s’accélérer au cours des prochaines décennies – à moins d’être entravé par un forçage externe, comme une éruption volcanique majeure ». Selon les calculs d’une équipe britannique[4] décrits par Christophe Cassou, il y a 50 % de chances pour que le hiatus soit suivi d’une accélération du réchauffement mais 25 % de probabilité pour qu’il se poursuive encore quelques années.
Mais comme pendant le hiatus, le réchauffement continue, les prévisions sur la fin de cette pause ne seront sans doute pas d’une grande utilité aux négociateurs du prochain accord de Paris issu de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP-21) en décembre 2015.
[1] LSCE, Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, CNRS-CERFACS, Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique.
[2] Douville H., A. Voldoire, O. Geoffroy, The recent global warming hiatus: What is the role of Pacific variability? Geophys. Res. Lett, 2015.
[3] Groupe d’étude de l’atmosphère météorologique – Centre national de recherches météorologiques, (GAME/CNRM, Météo-France / CNRS).
[4] Roberts, Palmer, McNEall and Collins, Quantifying the likelihood of a continuous hiatus in global warming, Nature Climate Change, mars 2015.
Photo : l’atmosphère terrestre depuis la Station spatiale internationale, 2010 (NASA/FLICKR/CC).