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Blocage d'une voie ferroviaire à Toronto (Ontario) le 8 février 2020. Jason Hargrove/2020/ CC BY-NC-ND 2.0/

Dans l’Ouest canadien, l’intervention de la police le 6 février dans des campements des membres de la communauté autochtone Wet’suwet’en, opposée à l’implantation d’un gazoduc sur son territoire ancestral, a provoqué une vague d’actions dans tout le pays. Un mouvement de protestation qui s’inscrit dans la lutte d’émancipation des peuples autochtones au Canada.

 

Les chefs héréditaires de la communauté Wet’suwet’en, en Colombie-Britannique, s’opposent au passage du gazoduc Coastal GasLink sur leur territoire ancestral. Le gazoduc qui doit traverser d’est en ouest la Colombie-Britannique transportera du gaz, extrait au moyen de la fracturation hydraulique dans le nord de la province, jusqu’à la côte Pacifique. D’une longueur de 670 kilomètres, Coastal GasLine doit emprunter le territoire ancestral des Wet’suwet’en sur près de 190 kilomètres. Mais ces derniers n’ont pas donné leur accord pour l’implantation du gazoduc sur leurs terres et avaient proposé un tracé alternatif, refusé en 2014 par la société Coastal GasLink.

 

Tracé du gazoduc Coastal GasLink

 

Du gaz de schiste pour l’Asie

 

Le gazoduc va alimenter une gigantesque usine, en construction, de gaz naturel liquéfié (GNL), accompagnée d’un terminal portuaire sur la côte Pacifique du Canada. Evalué à 28 milliards d’euros, ce projet baptisé LNG Canada est destiné à l’exportation du gaz fossile vers l’Asie, premier consommateur au monde de GNL. Comme son nom ne l’indique pas, LNG Canada est détenu à 40 % par le groupe pétrolier Shell et par des entreprises de Malaisie, Chine, Japon et Corée. Le gazoduc sera construit par TC Energy (anciennement TransCanada), qui est aussi derrière le projet controversé d’oléoduc Keystone XL.

 

Un conflit territorial sur fond de tension entre droit coutumier et droit étatique

 

La construction du gazoduc a obtenu le feu vert du gouvernement fédéral du Canada, de la province de Colombie-Britannique et d’une vingtaine de « conseils de bande » : les gouvernements élus des communautés autochtones. Ainsi les chefs héréditaires de la communauté Wet’suwet’en s’opposent au gazoduc mais les « conseils de bande » de la même communauté le soutiennent. Pour les chefs héréditaires, l’autorité de ces conseils s’arrête à la limite des réserves qui leur ont été attribuées par le gouvernement canadien. Le « conseil de bande » est un mode de gouvernance imposé au 19è siècle par les colons canadiens aux communautés autochtones, dans le cadre d’une « assimilation » contrainte.

 

Un comité de l’ONU appuie les revendications des autochtones

 

Or les chefs héréditaires Wet’suwet’en tirent leur légitimité du droit coutumier autochtone, qui préexistait à la colonisation du Canada et aujourd’hui reconnu par ce dernier. Ce droit leur confère l’autorité sur leur territoire, affirment les chefs. En outre, ce territoire ancestral, grand comme deux fois la Gironde, n’a jamais été cédé au Canada. Les chefs héréditaires ont reçu l’appui en décembre du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de l’Organisation des Nations unies, qui a demandé l’arrêt immédiat des travaux du gazoduc sur leur territoire.

Cette communauté autochtone s’oppose depuis dix ans au passage des gazoduc et oéloduc sur son territoire. Elle a construit en 2010 une cabane là où plusieurs sociétés voulaient faire transiter soit du gaz de schiste, soit du pétrole bitumineux. Pour manifester leur opposition à Coastal GasLink, les chefs héréditaires Wet’suwet’en et leurs soutiens se sont installés dans des campements, le long de la seule route d’accès au chantier de construction du gazoduc dans le territoire autochtone. Suite à une décision de justice, la police est intervenue dans le territoire Wet’suwet’en début février pour déloger les opposants au gazoduc. Des dizaines d’arrestations entre le 6 et le 10 février sur ce chemin forestier vont entraîner en solidarité avec les Wet’suwet’en, une vague de manifestations et de blocages par des autochtones et des militants écologistes dans tout le Canada, de l’océan Pacifique à l’océan Atlantique.

 

Des manifestations sur 4500 kilomètres

 

Plusieurs dizaines de manifestations ont eu lieu au Canada depuis dix jours. Une série de blocages des voies de chemin de fer au Québec, en Ontario, au Manitoba et en Colombie-Britannique perturbent le trafic de voyageurs dans tout le pays depuis le 8 février. Dans l’est du Canada, le trafic ferroviaire est à l’arrêt complet depuis le 13 février. Au centre du pays, des sympathisants des Wet’suwet’en bloquaient un pont à Regina (Saskatchewan), le 10 février. Sur la façade Pacifique du Canada, des dizaines de manifestants à Vancouver (Colombie-Britannique) ont empêché le même jour l’accès à deux ports de marchandises.

Des centaines de manifestants ont bloqué à Victoria les entrées du parlement de Colombie-Britannique le 11 février, la circulation avait également été bloquée par des activistes sur deux ponts la veille. Toujours le 11, 200 manifestants se sont rassemblés à Montréal (Québec) devant les bureaux de Justin Trudeau, Premier ministre du Canada. Simultanément, des manifestations se produisaient sur la côte Atlantique du Canada, où 150 personnes ont bloqué à Halifax (Nouvelle-Écosse) l’accès à un terminal portuaire. De nouvelles actions sont annoncées au Canada et à l’étranger alors que des blocages se poursuivent actuellement. Enfin, les opposants au gazoduc sont retournés occuper leurs campements le long de la route d’accès au chantier de construction du gazoduc.

 

Le casse-tête climatique du Canada

 

Si le rejet du gazoduc est maintenant lié à la question du territoire autochtone, la contestation s’est d’abord faite sur les risques que représente le projet LNG Canada pour l’environnement et le climat.
Le gazoduc acheminera du gaz extrait grâce à la fracturation hydraulique, dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Ce procédé très polluant occasionne des fuites de méthane, un gaz à effet de serre puissant dont la concentration dans l’atmosphère grimpe en flèche. La fracturation est aussi responsable de séismes et pollue des quantités importantes d’eau.

Les émissions directes de gaz à effet de serre (GES) liées à LNG Canada et son gazoduc (entre 4 et 9 millions de tonnes eq CO2 par an à terme) rendront encore un peu plus difficile à tenir les engagements climatiques du pays. Le Canada a pourtant promis de diminuer de 30 % ses émissions de GES d’ici 2030 mais la baisse pourrait n’être que de 10 %, selon les dernières estimations officielles.
La consommation du gaz naturel acheminé par Coastal GasLink entraînera chaque année l’émission de 34 millions de tonnes de CO2, « l’équivalent de 8 millions de voitures sur les routes », note Le Devoir.
Coastal GasLink illustre la position intenable du Canada, qui affirme vouloir respecter les accords climat internationaux tout en multipliant les projets d’exportation de ses ressources fossiles.

 


 

Article mis à jour le 17 février 2020 à 23h00