ANALYSE. La France revient de loin. Développer les énergies renouvelables au pays du nucléaire roi relève de la gageure et d’un incroyable parcours d’obstacles. Pourtant, en 2015, elle dispose de près de 10.000 mégawatts (MW) d’éolien (46 en 2000) et de plus de 5.500 MW de solaire photovoltaïque. La France se classe ainsi parmi les dix premiers pays du monde en matière d’énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, biomasse), derrière une demi-douzaine de champions (Chine, Etats-Unis, Allemagne, Espagne, Inde et Grande-Bretagne) et au même niveau que l’Italie et le Canada.
Par Louis Germain
Qu’est-ce qui a changé ? Le contexte international bien sûr : plus de 7,7 millions de personnes dans le monde travaillaient dans les énergies renouvelables en 2014[1] et près de 250 milliards d’euros y ont été investis, dont plus de la moitié dans le solaire[2]. Le prix des panneaux photovoltaïques a baissé de 75 % depuis 2009. La première puissance économique européenne, l’Allemagne, a depuis 2000 quadruplé sa production d’électricité à partir des énergies renouvelables. L’électricité produite par les centrales solaires photovoltaïques coûtera moins cher que celle produite avec le nucléaire, le charbon ou le gaz d’ici 2025 en Europe, selon une étude du Fraunhofer Institute[3]. Une autre étude commandée par la Commission européenne juge possible que le réseau électrique européen absorbe 60 % de renouvelables en 2030[4]. En Europe l’abondance d’électricité d’origine renouvelable sur le marché de gros a fait baisser le prix du kWh au détriment des grands fournisseurs d’électricité[5].
Course d’obstacles historique
En 1992, alors que l’Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) venait d’être créée, Jean-Louis Bal se rappelle qu’il n’y avait qu’une seule personne chargée des énergies renouvelables à EDF. Aujourd’hui président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) depuis 2011, Jean-Louis Bal était alors chargé des renouvelables à l’Ademe dès sa création. Presque une vocation de missionnaire pour cet ingénieur belge qui s’est battu contre des moulins qui s’appelaient GDF et EDF. Le premier accord de coopération de l’Ademe avec EDF remonte à 1993 pour expérimenter l’éolien. Alors PDG d’EDF, Gilles Ménage ne croyait guère à l’avenir de ces machines. Il les trouvait bruyantes et pensait que tout cela s’arrêterait vite « car ça fait du bruit ». Aujourd’hui EDF-Energies nouvelles (EDF-EN), filiale à 100 % d’EDF, est un des leaders internationaux des renouvelables électriques avec un chiffre d’affaires supérieur au milliard d’euros.
Exemple type du ratage à la française, celui de Photowatt, un pionnier qui est toujours le seul fabricant français intégré de l’industrie solaire[6]. Créé en 1979, Photowatt a longtemps été le n°3 mondial du photovoltaïque. Rachetée en 1997 par le groupe canadien ATS, la société dépose le bilan en 2011 et doit à la campagne pour la présidentielle de 2012 d’être « sauvée » de justesse, grâce un rachat par EDF-EN sur l’insistance de Nicolas Sarkozy auprès de son ami Henri Proglio, alors à la tête d’EDF. Photowatt aurait pu être un des grands du solaire mondial sans la myopie des dirigeants français. Aujourd’hui, il lui faudrait multiplier sa capacité de production par dix et un apport de plusieurs centaines de millions d’euros pour espérer faire le poids face à la concurrence chinoise.
Ni le boom du renouvelable ni la transition énergétique n’ont vraiment fait évoluer EDF. L’électricien vient ainsi subitement d’abandonner en mars 2015 sa filiale Nexcis alors que cette start-up prometteuse, dans laquelle 75 millions d’euros ont été injectés, s’apprête à mettre sur le marché un système photovoltaïque intégré à l’habitat très compétitif. Avis aux beaux parleurs de la COP 21, la Conférence mondiale sur le climat qui se tiendra en décembre 2015 à Paris !
Le pavé dans la mare
En France, c’est un rapport de l’Ademe qui a mis les pieds dans le plat. Résultat d’un travail de plus d’un an de l’établissement public avec la contribution de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), ce rapport de 120 pages soumis à comité scientifique et intitulé « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050 » démontre tout simplement la possibilité de produire l’électricité à 100 % à partir des renouvelables en 2050 à un coût quasi égal à celui d’un mix qui n’en comprendrait que 40 %.
Annoncé dans le cadre d’un colloque de l’Ademe sur la transition énergétique à la mi-avril, le rapport avait été retiré en douce au dernier moment mais il avait vite fuité. Ce retrait s’explique-t-il par la crainte que le rapport crédibilise la réduction de 75 à 50 % la part de l’électricité d’origine nucléaire inscrite dans la loi de transition énergétique ? C’est la CGT d’EDF qui a fait pression sur la ministre de l’Ecologie et de l’Energie pour que le rapport ne soit pas publié, selon une source proche de ce ministère. Mais il était trop tard. Le rapport « 100 % renouvelable » démontre que la France a la capacité de produire en 2050 trois fois plus d’électricité qu’elle n’en consomme aujourd’hui à l’aide des seules énergies renouvelables. L’association négaWatt[7] était déjà arrivée sensiblement aux mêmes conclusions mais cette fois, il s’agit d’un rapport institutionnel.
Il y a eu peu de réactions officielles à une annonce aussi encourageante à quelques mois de la COP 21. Rapides à dégainer, les détracteurs habituels du soleil et du vent sont restés cois. Où sont les Ollier, Birraux, Bataille et autres Besson, pour lesquels il n’y a de salut hors du nucléaire ? Les temps changent : alors que le 18 février, le nouveau patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, affirmait devant une commission de l’Assemblée nationale que le photovoltaïque restait « loin de la compétitivité », le 11 avril, il jugeait le solaire « moyennement compétitif ». Les déboires successifs des réacteurs nucléaires EPR finlandais et français incitent sans doute à la modestie.
Devenues « officiellement » crédibles donc incontournables, les énergies renouvelables sont désormais considérées comme gênantes voire dérangeantes par leurs détracteurs alors même que le nucléaire devient, lui, de moins en moins crédible.
Envolée solaire
Aujourd’hui, les objectifs prévus pour le solaire photovoltaïque ont été dépassés malgré la série de douches froides qui ont suivi la bulle spéculative de 2009, laquelle avait engendré une rente que les pouvoirs publics n’ont pas anticipée. Le moratoire sur les aides au solaire de 2011 a cassé l’élan pendant deux ans. A partir de 2013, l’éolien est reparti et le solaire a progressé rapidement malgré la révision des tarifs d’achat. En 2014, la progression du photovoltaïque a été de 27 % par rapport à 2013. Deux raisons à cela : des progrès techniques très rapides et une chute des prix. Dans les années 1980, rappelle Jean-Louis Bal, un module photovoltaïque de 10 watts avait un rendement de 10 %. Pour le même prix, en 2015, on trouve un module de 250 watts avec un rendement de 20 %. Les prix ont été divisés par 25, et ce n’est pas fini. Les technologies progressent vers toujours plus de rendement. Quant aux éoliennes, leur puissance n’a cessé d’augmenter : d’une puissance de 150 kilowatts en 1985, elles atteignent 8 MW et bientôt 10 pour les machines offshore équipées d’un rotor de 160 mètres de diamètre. Le kWh éolien terrestre est déjà compétitif en Europe par-rapport au KWh produit avec le nucléaire ou le gaz.
Pour autant, le retard accumulé et le yo-yo réglementaire font que la France n’atteindra pas les objectifs de 2020 sur lesquels elle s’est engagée auprès de Bruxelles, même si les renouvelables ont représenté 19,5 % de la production d’électricité en 2014. Si l’éolien et le solaire photovoltaïque ont fortement progressé, ils ne pesaient en 2014 que 4,2 % de la production nationale d’électricité, contre 12,6 % pour l’hydraulique. En 2020, selon les calculs du SER, les renouvelables devraient atteindre au plus 18 % de la consommation finale énergétique[8] et non les 23 % requis. Et sans doute 23 % de l’électricité et non 27 % comme exigé. Les réticences et les entraves multiples au développement de l’éolien y seront aussi pour beaucoup même si elles se sont atténuées depuis le changement de majorité présidentielle en 2012.
Le « mur d’investissement » de 2020
Et après 2020, que fait-on ? La question qui va se poser au gouvernement sera le remplacement ou non des réacteurs nucléaires qui auront atteint 40 ans (2018-2025), à moins qu’il ne joue à fond la carte des renouvelables. On a vu avec le rapport « 100 % » de l’Ademe que les renouvelables étaient très bien placées à moyen terme. Et à court terme ?
A en croire Jean-Bernard Lévy, le coût du photovoltaïque est « très loin de celui du nucléaire » Très loin ? Le prix de l’électricité du futur réacteur EPR de Flamanville (Manche) devrait être de l’ordre de 100 euros le mégawattheure (MWh). Le contrat signé par EDF pour la construction de deux EPR à Hinkley Point (en Angleterre) prévoit un tarif d’achat de 109 euros le MWh en faisant abstraction des problèmes éventuels et dérapages financiers que pourrait connaître le chantier, comme en France ou en Finlande. Or dès maintenant, une centrale solaire au sol peut produire un MWh sous la barre des 100 euros et ce prix va continuer à chuter pour se situer entre 70 et 80 euros dès 2020. En France le coût moyen du MWh éolien terrestre se situe autour des 80 euros.
Dilemme pour le gouvernement qui se retrouvera autour de 2020 devant le « mur d’investissement ». Soit il prolonge la vie des réacteurs nucléaires au-delà des 40 ans sous réserve de l’accord de l’Autorité de sûreté nucléaire et cela sera loin d’être gratuit, soit il lance la construction de nouveaux réacteurs qui ne seront de toute façon pas opérationnels avant 2025-2030 dans la plus optimiste des hypothèses. L’exécutif peut aussi choisir un mix électrique basé sur l’éolien, le photovoltaïque et l’hydraulique, avec un appoint de gaz utilisé comme variable d’ajustement. Pour 2030, l’objectif de la loi sur la transition énergétique est de porter la part des renouvelables à 32 % dans la consommation finale énergétique. L’évolution actuelle des renouvelables montre que cet objectif peut être dépassé. D’autant que l’autoconsommation et le stockage de l’énergie, compensant la variabilité du vent et du soleil, pourraient une nouvelle fois changer la donne. La mise sur le marché de batteries destinées aux habitations en témoigne.
50, 80 ou 100 % renouvelable, on oublie parfois que le développement de ces énergies perd son sens s’il alimente les nombreuses consommations inutiles d’énergie. La place des renouvelables dans l’approvisionnement total en énergie est étroitement liée au niveau de consommation d’énergie. Une politique de sobriété et d’efficacité énergétiques doit être le complément indispensable du développement des énergies renouvelables. Ce facteur crucial est retranscrit dans la loi de transition énergétique qui fixe pour objectif la division par deux de la consommation énergétique finale en 2050 par rapport à 2012.
[1] Renewable Energy and Jobs – Annual Review 2015, IRENA, 2015. http://www.irena.org/DocumentDownloads/Publications/IRENA_RE_Jobs_Annual_Review_2015.pdf
[2] Investissements dans les projets de grands barrages hydrauliques non pris en compte. Global Trends in Renewable Energy Investment 2015, Frankfurt School-UNEP Centre/BNEF, 2015. http://fs-unep-centre.org/sites/default/files/attachments/key_findings.pdf
[3] Current and Future Cost of Photovoltaics. Long-term Scenarios for Market Development, System Prices and LCOE of Utility-Scale PV Systems, Fraunhofer ISE, 2015. http://www.agora-energiewende.org/fileadmin/downloads/publikationen/Studien/PV_Cost_2050/AgoraEnergiewende_Current_and_Future_Cost_of_PV_Feb2015_web.pdf
[4] Integration of Renewable Energy in Europe, DNV GL, 2014. https://www.dnvgl.com/news/60-integration-of-renewables-in-european-distribution-grids-feasible-by-2030-through-mitigating-technical-and-regulatory-measures-13479
[5] Wind and solar power will continue to erode thermal generators’ credit quality, Moody’s, 2012. https://www.moodys.com/research/Moodys-Wind-and-solar-power-will-continue-to-erode-thermal–PR_259122
[6] Photowatt produit des modules photovoltaïques dont il fabrique tous les composants.
[7] A la différence du rapport de l’Ademe, le scénario négaWatt 2011 ne se cantonne pas à l’électricité et envisage de produire la quasi totalité de l’énergie à partir des renouvelables. http://www.negawatt.org/scenario-negawatt-2011-p46.html
[8] L’énergie finale est celle qui parvient aux secteurs consommateurs (industrie, transports, résidentiel, tertiaire et agriculture), par exemple aux bornes du compteur électrique ou dans le réservoir d’une voiture.
Photo : Renewable Energy (3), 2013, (Sten Dueland/Flickr/CC).