ANALYSE. Produire de la chaleur et de l’électricité à partir du bois, l’idée est séduisante mais sur le terrain le projet peut se révéler difficile. Comment recourir durablement et efficacement au bois énergie ?
Par Marc Théry[1]
Le bois représente la moitié de la consommation d’énergies renouvelables en France (10 millions de tonnes d’équivalent pétrole [tep] par an, soit 4 % du total de l’énergie primaire consommée), le double de l’hydraulique et six fois plus que l’ensemble éolien/solaire. Il est vrai que nous ne sommes pas vraiment en pointe dans le domaine des énergies renouvelables : le bois ne représente que 3 % de la consommation totale d’énergie en Allemagne (à hauteur de 13 millions de tep par an), passé maintenant derrière l’éolien et le photovoltaïque. Mondialement, le bois de feu fournit environ 350 millions de tep par an (soit 10 % de la production pétrolière), dont 85 % en Asie, Afrique et Amérique du Sud.
C’est un enjeu suffisamment important pour mériter que l’on s’y intéresse sérieusement, mais c’est aussi un domaine d’une grande complexité, où des visions d’un peu trop haut peuvent conduire à des désastres économiques et environnementaux. Voilà hélas ce dont nous sommes menacés par une vision un peu simpliste qui semble prévaloir dans nos instances dirigeantes françaises : l’axiome de base est que le gisement français est abondant et sous-exploité, ce qui n’est pas dénué de fondement. Il y a donc lieu de le « booster », et le moyen choisi pour y parvenir est le développement de très grosses unités de production de chaleur, ou combinées électricité/chaleur. La consommation de bois pour production de chaleur pour chauffage et production d’électricité augmente donc significativement, très largement par les gros projets. On peut ainsi citer tel ou tel projet emblématique, comme celui de Gardanne (850 000 tonnes de bois par an), dans les Bouches du Rhône, ou du Blosne, à Rennes (120 000 tonnes, le quart de la ressource estimée en Bretagne), qui provoquent, dans des régions sensibles, un assèchement des réseaux d’approvisionnement de chaufferies de taille plus modeste, et pour finalement recourir à des importations massives par voie maritime. Au-delà de nombreux articles qui n’abordent souvent que des aspects partiels d’une réalité globalement complexe, je voudrais ici donner une vision plus panoramique d’un domaine auquel je contribue à travers des projets de terrain depuis plus de dix ans.
Voici quelques points-clés, dont la méconnaissance ne peut qu’être très néfaste à la fois pour les projets individuels et pour la filière bois aux échelles régionale et nationale :
– Aujourd’hui, tous les projets de production de chaleur et d’électricité à partir du bois ne trouvent une compétitivité face aux autres sources d’énergie et un équilibre économique que grâce à des mécanismes de soutien très lourds : appels à projets nationaux de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) pour les grosses installations de production combinée, du BCIAT[2] (Fonds Chaleur) pour celles qui ne produisent que de la chaleur, et plans régionaux de subvention des investissements, pour des installations de taille plus modeste. Soit on garantit au producteur un prix du mégawattheure (MWh) produit, soit, selon les caractéristiques du projet, on calcule une subvention qui est au moins de 30 % et a pu aller jusqu’à 60 %, voire plus. Tout ceci aboutit à verser une subvention de 40 à 80 euros par MWh consommé, soit de 50 à 100 % au-delà du coût atteint avec d’autres énergies.
– Sur un tout autre plan, le bois est un combustible hétérogène, dont la combustion est complexe, et, pour atteindre des rendements corrects, il nécessite des équipements lourds et bien adaptés : pour cette raison, une chaudière bois-énergie coûte, avec ses équipements périphériques quatre à cinq fois plus cher qu’une chaudière fioul. Les bons rendements de combustion sont indispensables d’un point de vue économique, bien sûr, mais surtout d’un point de vue environnemental : tout ce qui est mal brûlé devient en effet un résidu, qui va soit encrasser la machine, soit se diffuser dans l’atmosphère, donc polluer le voisinage et l’environnement. Pour l’éviter, il faut à la fois des chaudières performantes, bien adaptées au combustible utilisé et bien réglées, et des dispositifs complémentaires de filtration, respectant des normes de plus en plus sévères quand la puissance augmente. Ce point est capital, et surtout pas du tout théorique, comme peuvent le constater tous ceux qui ont travaillé sur des cas concrets. C’est le cas, par exemple, sur une petite chaufferie, d’un avaloir de fumée en acier inoxydable détruit par l’acide sulfurique produit lors de passages trop fréquents à la température dite « point de rosée acide » : on imagine facilement que l’atmosphère environnante devait en conserver quelques traces…
– La ressource d’origine, l’arbre qui va fournir le bois, est lui aussi très hétérogène dans ses modes de développement, alors qu’on voudrait en rester à une approche purement quantitative qui considère qu’un arbre égale un autre arbre, et qu’un hectare de boisement égale un autre hectare de boisement. Rien n’est plus faux, et aujourd’hui, à l’échelle de la planète, on peut observer que les boisements sont de plus en plus relégués dans les zones où on ne peut rien faire d’autre dans des conditions économiquement favorables. Le recul des forêts tropicales et équatoriales est ainsi inscrit dans ce sens : la végétation luxuriante de ces régions pousse d’une part à exploiter les volumes énormes de bois qu’elles ont pu faire croître, et à les mettre en culture, avec deux ou trois récoltes par an. Avec, en « prime », le fait que la disparition de cette forêt change complètement le régime hydrique et pluvial… mais c’est une autre histoire, pour demain, tout comme la question de la séquestration du carbone.
A l’inverse, tout un tas de zones forestières, dans le grand nord, dans les zones de montagne, dans des zones accidentées, mais aussi dans le monde méditerranéen ou les « landes » du sud-ouest, n’existent que par défaut : la nature n’y est pas assez vivace pour de belles cultures, question de sol ou de climat, alors on laisse pousser lentement des arbres qui veulent bien y venir, comme le pin dans les Landes ; ou bien c’est le relief qui ne permet pas vraiment de faire autre chose. Mais dans tous ces cas, chacun avec ses spécificités, la ressource, quoiqu’occupant de vastes surfaces, ne donnera souvent qu’avec parcimonie ou dans des conditions d’exploitation problématiques, sauf quelques cas d’adaptation particulière, dans les Landes par exemple. On aura tendance, dans les cas les moins valorisants, à laisser la nature faire, ce qui aggravera encore la situation. Vouloir la forcer en essayant d’accélérer les rythmes naturels n’aboutit in fine qu’à la désertification de ces terres déshéritées.
– Enfin, l’arbre produit cette matière extraordinaire qu’est le bois : c’est en grande partie un matériau composite (fibres longues agglomérées par des « résines », au sens des matières plastiques), et tout ce qui ne peut être utilisé pour cette qualité mécanique est combustible, producteur d’énergie calorifique. Mais la densité énergétique de ce produit est faible : Il faut 12 mètres cubes (m³) de plaquettes de bois (utilisées pour l’alimentation de toutes les grosses chaudières), pesant de 3 à 5 tonnes selon le taux d’humidité, pour obtenir une tonne d’équivalent pétrole, quand le volume d’une tonne de pétrole avoisine sensiblement 1 m³. On voit donc l’incidence majeure de la question du transport : sur un attelage routier standard, on va pouvoir charger 25 à 30 tonnes de produits pétroliers, contre seulement 6 à 8 tep pour le bois. On doit donc se poser la question de savoir s’il est raisonnable, dans ces conditions, tant du point de vue économique qu’environnemental, de faire circuler du bois sur des centaines de kilomètres (voire des milliers par bateau, dans des cas de plus en plus fréquents)… pendant que, dans le même temps, on approvisionne les territoires d’où provient le bois en combustible fossile pour le chauffage.
Cette rapide revue débouche sur quelques recommandations très pratiques mais pas toujours évidentes à comprendre puis à suivre. Notamment :
– La proximité de la filière d’approvisionnement en bois, à défaut de sa maîtrise difficile à obtenir (propriété des boisements, contrats à long terme), donne un avantage concurrentiel (limitation du coût de transport) et permet de se protéger un peu de mécanismes de marché qui peuvent influer à la fois sur le coût et sur la simple disponibilité du combustible.
– Les choix des matériels doivent se faire en étroite considération du combustible dont on sait pouvoir disposer dans de bonnes conditions économiques. Être obligé d’adapter a posteriori le combustible à la chaudière est en général un désastre économique.
L’actualité présente et mes expériences de montages démontrent que, par nature, un projet de chauffage au bois repose sur des équilibres délicats qu’il faut consolider pour qu’ils constituent un socle solide et pérenne pour le projet. Il est donc crucial de connaître les causes des difficultés des projets de « chauffage au bois ». La bonne identification des causes des problèmes rencontrés permet heureusement aussi de remédier aux principales difficultés voire de les anticiper avec bonne assurance, quand les nombreuses parties impliquées dans un tel projet vont avoir tendance à s’en rejeter la responsabilité les uns sur les autres. C’est notamment le grand jeu entre le fournisseur de la chaudière et celui du combustible, pour ne parler que d’eux.
Le chauffage au bois, sous plusieurs formes (particulier, collectif ou public), a donc de beaux jours devant lui, même s’il ne peut bien évidemment, répondre à la totalité des besoins ! Mais il est exigeant et ne souffre ni l’improvisation ni l’amateurisme : pour qu’il soit durable, il faut qu’il ait été bien préparé en amont. Pour vous aider à approfondir efficacement les principales idées développées ci-dessus et en découvrir de nouvelles (exemple : est-il recommandé de surdimensionner sa machine, au cas où ?), une web-conférence récente est à votre disposition.
[1] Ingénieur atypique, Marc Théry est un des acteurs principaux du projet d’autonomie énergétique de la Communauté de Communes du Mené (Côtes d’Armor) et anime le blog « Territoires Energéthiques ».
[2] BCIAT : Biomasse Chaleur Industrie, Agriculture et Tertiaire
https://appelsaprojets.ademe.fr/aap/BCIAT%2020152014-56
Photo : « In a maze », 2011 (Mikko Saari/Flickr/CC).