Le 26 février 2015 par Martin Leers

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Pour le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), l’avenir énergétique du pays passe par un réacteur nucléaire alimenté au plutonium et refroidi par un métal liquide (le sodium), qui explose au contact de l’eau et s’enflamme au contact de l’air : le projet ASTRID, prototype d’une filière de réacteurs dits « surgénérateurs ». Technologie des années 1950, le surgénérateur est mondialement connu pour ses défaillances et ses surcoûts, illustrés en France par le réacteur Superphénix abandonné en 1997 et dont le coût a été estimé à douze milliards d’euros, hors démantèlement, par la Cour des comptes[1]. Les trois derniers présidents de la République ont pourtant décidé le financement d’un nouveau surgénérateur très controversé. Prise à l’écart de tout débat démocratique sur la politique énergétique, comme cela avait été le cas pour Superphénix, cette décision n’est pas sans risques pour la France.

Un article de Bernard Laponche[2] à partir de documents du CEA, de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur ce projet et publié récemment[3] par Global Chance fait le point sur la dangerosité d’ASTRID, l’inachèvement du projet et son coût exorbitant. En voici la synthèse.

 

La question non résolue des risques

 

La combinaison du combustible fortement chargé en plutonium et du sodium fait d’ASTRID une machine particulièrement dangereuse. Le plutonium est un élément radioactif très toxique. Tout ce qui touche à l’industrie du combustible au plutonium est par conséquent à haut risque : extraction du plutonium par le retraitement, transport du plutonium et des combustibles neufs ou irradiés, fabrication des combustibles et gestion des déchets radioactifs. Par ailleurs, le plutonium est le matériau de choix pour la réalisation d’armes nucléaires. C’est pour cette raison que les espoirs de vente d’un réacteur au plutonium à l’étranger sont quasiment nuls, la communauté internationale s’y opposerait de facto.

 

D’autre part la technologie du surgénérateur ne laisse pas de droit à l’erreur. Un défaut de refroidissement du réacteur peut se traduire par une augmentation de réactivité et donc de puissance. Si, pour une raison quelconque (secousse sismique par exemple) les assemblages combustibles se rapprochaient les uns des autres ou si, à la suite d’une fusion partielle, les combustibles se rassemblaient dans une région du cœur, la formation de masses critiques conduisant à une accélération de la réaction en chaîne (excursion nucléaire) et libérant une grande quantité d’énergie sous forme explosive est envisageable. Un tel accident conduirait, en cas de rupture de l’enceinte de confinement, à la diffusion d’aérosols de plutonium hautement toxiques dans l’atmosphère.

 

Un projet flou

 

Alors que le prototype ASTRID devrait selon son cahier des charges présenter une sûreté améliorée par rapport au réacteur EPR, la liste des demandes de l’ASN à prendre en compte pour la poursuite du projet en dit long sur le caractère flou d’ASTRID. Dans un courrier[4] daté d’avril 2014, le directeur de l’ASN annonçait à l’administrateur du CEA : « Au stade actuel de définition des orientations, le caractère synthétique et préliminaire des informations transmises ne me permet pas de prendre une position complète et définitive concernant la sûreté de votre projet ». Et cela ne concerne que le prototype de réacteur et non les industries et activités liées au combustible, dont on ignore tout.

 

Autre point gênant, le CEA ne mentionne pas la présence d’une enceinte de confinement autour du réacteur dans son document de présentation d’ASTRID. « Il manque principalement dans la monographie du CEA la description de l’enceinte de confinement et sa conception pour éviter toute sortie de produits radioactifs » remarque le Groupement de Scientifiques sur l’Information Nucléaire (GSIEN)[5].

 

Le coût d’ASTRID est inconnu

 

Au stade d’avant-projet, ce projet de réacteur de 600 MWe[6] est déjà doté d’un budget dépassant les 600 millions d’euros, argent public issu du programme des investissements d’avenir[7]. Les informations fournies par le CEA sur le coût total de la filière des surgénérateurs sont laconiques. Rien n’est dit sur le coût d’ASTRID et de celui de la chaîne du combustible qui en est le complément indispensable et donc, in fine, sur le coût du kWh que produirait un tel réacteur. Une seule certitude pour le CEA : les réacteurs issus du prototype ASTRID coûteraient beaucoup plus cher qu’un réacteur classique. Le promoteur du réacteur estime « un surcoût de 30% de l’investissement pour un RNR[8], par rapport à un réacteur à eau classique, tout en notant les très fortes incertitudes sur cette valeur »[9]. Le coût du kWh se situerait, en ne prenant en compte que le réacteur, et en fonction des connaissances actuelles sur le coût d’investissement de l’EPR, à environ 150 € par MWh, ce qui est totalement rédhibitoire. Et ces calculs ne tiennent pas compte des coûts supplémentaires des usines dédiées au combustible d’ASTRID. On arrive alors à des estimations encore plus élevées du coût du kWh.

 

Mais alors comment justifier un projet aussi risqué et coûteux ?

 

L’argument mis en avant par les tenants des surgénérateurs est le remplacement du combustible à l’uranium par le combustible au plutonium pour économiser les ressources en uranium. Mais le désastre nucléaire de Fukushima, la concurrence des énergies renouvelables et du gaz, le déclin du nombre de réacteurs dans le monde et l’effondrement du cours de l’uranium ont considérablement diminué les tensions d’approvisionnement sur ce minerai.

 

De surcroît, le surgénérateur doit produire plus de combustible qu’il n’en consomme (il « surgénère » du plutonium). Pour que le réacteur accomplisse ce miracle, il faut extraire le plutonium produit en son sein et en faire un nouveau combustible. Mais les capacités techniques qui permettraient au réacteur de produire plus de plutonium qu’il n’en consomme n’existent pas aujourd’hui en France. Pour que la filière fonctionne il faudrait, outre la présence d’ASTRID, produire du plutonium en retraitant les combustibles irradiés des réacteurs existants puis, ensuite, extraire le plutonium du combustible irradié du réacteur surgénérateur lui-même, et enfin fabriquer le nouveau combustible afin d’alimenter le réacteur concerné. Une usine à gaz. Le raccourci de la présentation du surgénérateur comme la technique permettant l’utilisation « illimitée » de l’uranium masque la réalité et la complexité des opérations que cela implique et donc les coûts et les risques de l’ensemble des techniques à mettre en œuvre. Le CEA explique que ASTRID ne sera pas « surgénérateur » : « Bien que les centrales à neutrons rapides du futur puissent avoir vocation à être surgénératrices, ASTRID sera « isogénérateur » [10]. Ce qui veut dire que le réacteur produirait autant de plutonium qu’il en consommerait mais pas plus. La justification du choix technologique d’ASTRID s’en trouve dès lors amoindrie.

 

Les éléments fournis par le CEA ne font que confirmer le sentiment d’une filière à la fois dangereuse et extrêmement coûteuse. N’y a-t-il pas mieux à faire avec l’argent public ? Pourquoi les dirigeants s’obstinent-ils à soutenir un projet de réacteur dangereux et hors de prix porté par une poignée d’ingénieurs responsables de l’échec de Superphénix ?

 

 


Retrouvez l’analyse complète de Bernard Laponche sur le site de Global Chance :

ASTRID : une filière nucléaire à haut risque et coût exorbitant

 

 

[1] Les coûts de la filière électro nucléaire, Cour des comptes, 2012. https://www.ccomptes.fr/Publications/Publications/Les-couts-de-la-filiere-electro-nucleaire

[2] Bernard Laponche préside l’association qui édite le Journal de l’énergie.

[3] ASTRID : une filière nucléaire à haut risque et coût exorbitant, Bernard Laponche, février 2014. http://www.global-chance.org/ASTRID-une-filiere-nucleaire-a-haut-risque-et-cout-exorbitant

[4] Courrier ASN CODEP-DRC-2013-062807. http://www.asn.fr/content/download/91899/628478/version/2/file/2013-06-27-GPR-Position.pdf

[5] ASTRID : une filière nucléaire à haut risque et coût exorbitant, Bernard Laponche, février 2015 (p.15). http://www.global-chance.org/ASTRID-une-filiere-nucleaire-a-haut-risque-et-cout-exorbitant

[6] Puissance électrique du réacteur.

[7] Rapport relatif à la mise en œuvre et au suivi des investissements d’avenir, ministère des Finances, 2015.

http://www.performance-publique.budget.gouv.fr/sites/performance_publique/files/farandole/ressources/2015/pap/pdf/jaunes/jaune2015_investissements_avenir.pdf

[8] RNR : réacteur à neutron rapide, technologie d’ASTRID.

[9] Les réacteurs nucléaires à caloporteur sodium, CEA, novembre 2014 (p.197). http://www.cea.fr/energie/les-reacteurs-nucleaires-a-caloporteur-sodium/projets-pour-le-futur

[10] Les réacteurs nucléaires à caloporteur sodium, CEA, novembre 2014 (p.190). http://www.cea.fr/energie/les-reacteurs-nucleaires-a-caloporteur-sodium/projets-pour-le-futur

 

Photo : Endless Stairs (Kuhn/Flickr/CC)