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Centrale nucléaire de Kori, Corée du Sud, AIEA, 2013.

C’est une première pour la Corée du Sud : un tribunal a donné gain de cause à une femme qui attribue son cancer de la thyroïde à la radioactivité de la centrale nucléaire de Kori, proche de son domicile.

Par Louis Germain

 

Le tribunal de Busan, deuxième ville du pays, a condamné la société exploitant la centrale – Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP) – à verser une indemnité de 11.000 euros à Geum-sun Park, 48 ans, qui vit à sept kilomètres de la centrale nucléaire de Kori (côte est) nous apprend le Wall Street Journal. Cette centrale comporte six réacteurs à eau sous pression, une technologie similaire à celle des réacteurs français.

« En-dehors de la radioactivité rejetée par les réacteurs nucléaires, il n’y a pas de cause évidente à son cancer »

« Elle a vécu dans un rayon de dix kilomètres des réacteurs depuis plus de vingt ans et est donc exposée à la radioactivité depuis longtemps. En-dehors de la radioactivité rejetée par les réacteurs nucléaires, il n’y a pas de cause évidente à son cancer », note le tribunal dans son jugement du 17 octobre 2014. Filiale de KEPCO, l’opérateur électrique public de la Corée du Sud, KHNP a annoncé qu’il ferait appel.

Une décision de justice fondée sur des études médicales

Le juge Choi Ho-sik s’est appuyé sur une étude épidémiologique sud-coréenne de 2012 établissant que le nombre de cancers de la thyroïde chez les femmes vivant dans un rayon de cinq kilomètres autour d’une centrale nucléaire était 2,5 fois supérieur au nombre de cancers de la thyroïde chez les femmes vivant dans un rayon de trente kilomètres des mêmes installations [1]. Le jugement mentionne aussi une campagne de dépistage du cancer de la thyroïde menée de juillet 2010 à décembre 2013 sur 3031 habitants du comté de Kijang, où se trouve la centrale nucléaire de Kori. Ce dépistage a révélé un nombre de cancers de la thyroïde supérieur de 0,34% à un autre dépistage mené à l’échelle nationale sur la même période sur des dizaines de milliers de personnes.

Mais selon l’exploitant de la centrale, plusieurs études médicales infirment le lien de cause à effet entre la localisation des installations nucléaires et le cancer de la thyroïde chez les populations riveraines, d’autant que ce cancer est « le plus fréquent » dans la population féminine à travers le pays. D’après le ministère sud-coréen de la Santé, le cancer de la thyroïde connaît effectivement une forte hausse depuis quelques années dans la population féminine, ce qui s’expliquerait en partie par des méthodes de dépistage plus efficaces et des examens médicaux plus fréquents.

Un jugement qui pourrait ouvrir la voie à des poursuites similaires

Après ce jugement, plusieurs associations de protection de l’environnement ont annoncé qu’elles allaient lancer une action collective en justice après avoir recensé les personnes souffrant d’un cancer de la thyroïde et vivant depuis au moins trois ans au voisinage d’une des quatre centrales nucléaires du pays. La municipalité de Busan a aussi demandé au gouvernement de fermer le plus vieux réacteur de cette centrale (Kori I), le premier à avoir été mis en service en Corée du Sud en 1978.

Ce réacteur avait perdu en 2012 toute alimentation électrique pendant 12 minutes, y compris son générateur de secours, lors d’un incident grave que KHNP avait essayé de dissimuler. La catastrophe de Fukushima en 2011 a profondément marqué les esprits en Corée du Sud où 23 réacteurs nucléaires fournissent environ 30% de la production électrique. Sans compter qu’un scandale mêlant corruption et contrefaçon de pièces détachées destinées aux centrales nucléaires frappe de plein fouet KHNP depuis deux ans.

 

[1] Cancer Risk in Adult Residents near Nuclear Power Plants in Korea – A Cohort Study of 1992-2010 http://synapse.koreamed.org/DOIx.php?id=10.3346/jkms.2012.27.9.999

 

Photo : centrale nucléaire de Kori, Corée du Sud (AIEA/Flickr/CC)