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Statues posées sur un sol de miroirs brisés. Roger/2012/CC BY 2.0

ANALYSE. Les incidents graves sur le parc nucléaire EDF en France ont augmenté ces dernières années et concernent en majorité le risque sismique, auquel les diesels de secours des réacteurs sont particulièrement vulnérables, selon une analyse de l’association « Global Chance » publiée en décembre 2020. Cette accumulation d’incidents, dont certains ont affecté plusieurs dizaines de réacteurs, témoigne de l’état inquiétant du parc nucléaire, affirme le rapport qui s’appuie principalement sur les déclarations d’incidents classés « niveau 2 » entre 2010 et 2020 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et les rapports de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). L’importance de ces incidents en termes de sûreté et de risques n’est pas suffisamment connue, estiment Bernard Laponche et Jean-Luc Thierry, les auteurs du rapport.

 

La note examine les incidents survenus entre 2010 et 2020 dans les centrales nucléaires françaises qui peuvent « conduire dans certains cas à une fusion du cœur et par conséquent à un accident grave ou majeur », indiquent les auteurs. Des incidents qui sont classés « niveau 2 » sur l’échelle de communication destinée au grand public et utilisée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Pannes d’équipement, défauts de maintenance, erreurs humaines : la plupart de ces incidents cumulent les facteurs de risque.

 

Selon la façon de classer les incidents graves, il y a eu 17 incidents ou 98 incidents entre 2010 et 2020

 

Pour mieux appréhender l’importance d’un incident sur l’ensemble du parc nucléaire, le rapport s’appuie sur le classement des incidents recommandé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) : le couple « incident-réacteur ». Lorsqu’un incident affecte plusieurs réacteurs ou centrales, chaque réacteur concerné est compté individuellement, pour mieux prendre en compte la situation particulière du réacteur.

« Le même incident se produisant dans l’un ou l’autre des réacteurs pourrait avoir des conséquences différentes en termes de sûreté selon qu’il serait par exemple associé à un autre incident, ou bien à certaines défaillances ou agressions particulières à tel ou tel réacteur », explique la note.

L’ASN ne recourt pas à ce classement pour les incidents de « niveau 2 » sur son site internet, elle classe l’incident par date de déclaration. Un incident de « niveau 2 » est compté une seule fois alors qu’il peut affecter plusieurs réacteurs.

 

Le nombre d’incidents graves sur les réacteurs a nettement augmenté depuis 2017

 

Si un incident de « niveau 2 » est compté une seule fois alors qu’il affecte plusieurs réacteurs, il n’y a eu « que » 17 incidents entre 2010 et 2020 en France. Mais si les incidents de « niveau 2 » sont comptés par couple « incident-réacteur », il y a eu 98 incidents sur le parc nucléaire sur la même période. Le classement des incidents influe donc sur leur évaluation. Le tableau ci-dessous indique le nombre d’incidents entre 2010 et 2020 en France, selon le classement des incidents de l’ASN et celui de l’AIEA (par couple).

Le nombre d’incidents graves sur les réacteurs a nettement augmenté depuis 2017. Dans le palmarès des réacteurs les plus affectés par des incidents graves : 10 réacteurs ont connu trois incidents et un réacteur en a connu quatre. 24 réacteurs ont connu deux incidents.

Nombre d’incidents de « niveau 2 » sur le parc nucléaire français entre 2010-2020.

 

 

Une majorité d’incidents graves liée au risque de séisme

 

La majorité des incidents graves depuis dix ans sur le parc nucléaire EDF est liée à la vulnérabilité des réacteurs en cas de séisme, alors qu’un tremblement de terre près des centrales nucléaires de Cruas (Ardèche) et du Tricastin (Drôme) en 2019 pourrait provoquer la réévaluation à la hausse du risque sismique en France, avertit la note. Le risque sismique affecte tout particulièrement les moteurs diesels de secours des centrales nucléaires, qui fournissent, en cas de panne, l’électricité nécessaire au refroidissement du combustible radioactif. Sur les 17 incidents répertoriés par l’ASN entre 2010 et 2020, 10 concernent les diesels de secours. Mais en suivant le classement des incidents de l’AIEA par couple « incident-réacteur », ce sont 67 incidents qui concernent les diesels de secours. Des incidents qui ont presque tous eu lieu entre 2017 et 2020.

Ces incidents font tâche d’huile. Les incidents de vulnérabilité au risque sismique des diesels de secours sont souvent génériques : ils concernent de nombreux réacteurs. Un incident de « niveau 2 » s’est étendu en deux ans aux trois quarts du parc nucléaire, souligne le rapport. Déclaré en 2017, cet incident concernait les ancrages d’équipements liés aux diesels de secours et affecta d’abord 20 réacteurs pour ensuite s’étendre à 43 réacteurs en 2019. Des réacteurs ont fonctionné parfois des dizaines d’années avant que des vulnérabilités au séisme soient découvertes.

 

Le réacteur n°1 de la centrale nucléaire Paluel sur la plus haute marche du podium

 

Le réacteur qui a connu le plus d’incidents de « niveau 2 » sur les 58 réacteurs français dans la période étudiée est le réacteur n°1 de la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime), concerné par 4 incidents graves, entre 2017 et 2020. Les quatre incidents sont liés au risque sismique sur les diesels de secours. Les trois autres réacteurs de la centrale de Paluel ont été affectés par trois incidents distincts sur le même thème.

 

Le risque sismique est loin d’être anodin

 

Lors d’un autre incident en 2019 de vulnérabilité des diesels de secours aux séismes et qui touchait les 12 réacteurs des centrales nucléaires de Gravelines (Nord), de Paluel et de Civaux (Vienne), le rapport rappelle les risques encourus en citant l’IRSN.

Un séisme au niveau le plus fort connu historiquement « pouvait conduire à terme à une fusion du cœur provoquée par l’impossibilité d’alimenter en électricité les dispositifs prévus pour refroidir le combustible, ainsi qu’à une perte de refroidissement de la piscine d’entreposage du combustible usé ». C’est-à-dire à un double accident nucléaire. A cette époque, les diesels « d’ultime secours », ces diesels supplémentaires qui doivent équiper tous les réacteurs, n’étaient pas encore opérationnels dans ces centrales.

 

L’incident le plus grave de la décennie a eu lieu en 2017 à la centrale du Tricastin

 

L’incident le plus grave de la décennie a eu lieu en 2017 à la centrale du Tricastin, selon le rapport. Il s’agit du risque de rupture de la digue du canal de Donzère-Mondragon, provoquée par un séisme et qui serait suivie de l’inondation de la centrale nucléaire du Tricastin (Drôme). La centrale se situe à environ six mètres en contrebas du canal. Son inondation « pouvait conduire à un accident de fusion du combustible nucléaire des quatre réacteurs », avait déclaré l’ASN, quand elle avait imposé à EDF l’arrêt des réacteurs du Tricastin pour renforcer en urgence la digue.

EDF doit corriger rapidement les défauts mis en évidence par les incidents mais il faut parfois tout le poids de l’ASN pour convaincre l’exploitant d’agir. Cet incident reste d’actualité puisque EDF doit à nouveau renforcer la digue. « La rupture de la digue, du fait de la hauteur du canal par rapport à la base de la centrale, restera en tout état de cause une menace permanente sur la sûreté de la centrale du Tricastin », estiment les auteurs du rapport.

 

Les incidents graves ont plusieurs causes

 

Il n’y a pas qu’une seule cause à la majorité des incidents mais plusieurs. Le rapport prend l’exemple d’un incident sur le réacteur n°2 de la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne) en 2019, qui a frôlé l’accident après une série d’erreurs humaines, aggravées par des pannes.

« L’occurrence d’un accident résultera souvent de l’enchaînement et de la combinaison d’un problème technique et de fautes de conduite entraînant ou révélant éventuellement d’autres défaillances techniques », observent les auteurs. Si les incidents sont souvent soigneusement analysés sur le plan technique, le facteur organisationnel et humain n’est pas suffisamment pris en compte alors qu’il est important pour prévenir un accident nucléaire, juge aussi le rapport.

 

« La combinaison des causes de défaillances accroît considérablement le risque d’accident nucléaire »

 

Autre exemple où le risque sismique et l’entretien négligé de réacteurs ont formé un cocktail détonant, lors d’un incident qui a affecté 29 réacteurs en 2017. La corrosion a détérioré des tuyauteries vulnérables au tremblement de terre. Corrosion qui s’est développée parce que EDF n’avait pas correctement entretenu ces tuyauteries. En jeu : la perte, en cas de séisme, de l’approvisionnement en eau pour refroidir le réacteur. Le rapport souligne que « la combinaison des causes de défaillances accroît considérablement le risque d’accident nucléaire. »

Ces causes multiples rendent délicate la prévention des incidents : « le nombre et la diversité des défaillances de divers ordres sont tels que leurs combinaisons potentielles sont innombrables et extrêmement difficiles à prévoir », font remarquer les auteurs. Si ces incidents graves portent parfois sur des manœuvres ou des défaillances matérielles ponctuelles sur un réacteur en fonctionnement, dans bon nombre de cas la défense en profondeur est remise en cause par des dégradations d’équipements importants pour la sûreté, découvertes à la faveur de contrôles de routine.

L’augmentation récente d’incidents graves sur les réacteurs nucléaires EDF est un avertissement à ne pas prendre à la légère, conclut la note. D’autant plus que de nombreux chantiers commencent à s’ouvrir dans les 32 réacteurs les plus âgés du parc nucléaire, avec les quatrième visites décennales1. Le rapport pointe dans ce contexte un risque « d’aggravation » de la tendance à la hausse des incidents.

 

Consultez le rapport en cliquant sur ce lien :

L’accumulation d’incidents graves témoigne de l’état inquiétant du parc électronucléaire, Bernard Laponche et Jean-Luc Thierry, Global Chance, décembre 2020.

 


 

1 Un examen approfondi et une mise à niveau de la sûreté des réacteurs nucléaires pour leur permettre de fonctionner au-delà de 40 ans.