L’Accès régulé à l’énergie nucléaire historique (Arenh) a été mis en place par la loi sur la Nouvelle organisation du marché de l’électricité (Nome) avec pour objectif d’ouvrir le marché français en donnant accès aux concurrents à la « rente nucléaire » d’EDF. Cela faisait suite à un bras de fer avec la Commission européenne qui trouvait que le marché français ne s’ouvrait pas assez vite. Elle oblige donc EDF à vendre un maximum de 100 térawattheures (TWh) à un tarif régulé pour que des concurrents puissent bénéficier de cette ressource réputée bon marché. Un décret fixant la méthodologie de calcul de l’Arenh pour les années à venir est aujourd’hui en cours de négociation avec la Commission qui trouverait, à l’instar de l’Autorité de la concurrence, la méthode un peu généreuse.
L’Arenh, c’est quoi ?
Pour ouvrir le marché de l’électricité français à la concurrence, il y avait plusieurs possibilités : « casser » EDF en vendant une partie de ses moyens de production, supprimer les tarifs réglementés de vente… Un compromis a été trouvé avec Bruxelles qui consiste à donner accès pour 15 ans à la production nucléaire aux concurrents d’EDF, et à un prix fixé par les pouvoirs publics. Cela a abouti à la création de l’Arenh par la loi Nome de 2010. A l’époque, les prix de marché étaient entre 60 et 80 euros le mégawattheure (MWh) contre 38 à 40 aujourd’hui.
Le volume maximal est fixé à 100 TWh (environ le quart de la production du parc nucléaire français), le dispositif doit se terminer en 2025. Pour calculer le prix de l’Arenh, les pouvoirs publics ont choisi de raisonner sur un parc virtuel qui aurait été mis en service intégralement en 1985 et atteindrait 40 ans en 2025, soit à la fin du dispositif. Cela facilite les calculs mais constitue évidemment une approximation très grossière de la réalité. Au passage on notera que tout le calcul est basé sur une durée d’amortissement de 40 ans. A partir de 2015, c’est la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui calculera l’Arenh chaque année, en utilisant la méthodologie fixée par un décret en cours de finalisation. Ce décret a été débattu, a fait l’objet d’un avis de l’Autorité de la concurrence et d’un avis de la CRE. Il est actuellement en cours de négociation avec la Commission européenne.
La « rente nucléaire » existe-t-elle vraiment ?
En l’absence de décret, une valeur transitoire de 42 euros le MWh avait été fixée par le gouvernement. Les prix de marché passant sous la barre des 42 euros le MWh fin 2014, EDF a vendu deux fois moins d’Arenh pour le premier semestre 2015 que les années précédentes. On pourrait conclure que l’Arenh devient simplement inutile par disparition de la « rente nucléaire ». Mais depuis novembre 2014, le prix de l’Arenh sert aussi à fixer les tarifs réglementés de vente de l’électricité pour les petits consommateurs, rendant son évaluation d’autant plus sensible.
Si le prix reste à l’avenir supérieur aux cotations du marché de l’électricité, EDF ne vendra plus d’Arenh mais les tarifs payés par les usagers seront « élevés ». En théorie c’est bon pour la concurrence puisque les fournisseurs autres qu’EDF pourront proposer des offres moins chères que les tarifs réglementés. Mais cela reste à vérifier tant les Français montrent peu d’appétence en la matière. Dans cette hypothèse, EDF vendra les 100 TWh initialement dédiés à l’Arenh au prix de marché, et dès lors, la question de sa rentabilité à moyen terme se posera. A contrario, si le prix de l’Arenh est fixé en-dessous du marché, EDF vendra certes tous les TWh de l’Arenh, les tarifs seront plus bas pour les usagers, mais EDF aura bien du mal à financer ses investissements.
Transformer un partage de rente en source de financement ?
Le prix de l’Arenh serait calculé en prenant en compte la somme de la rémunération du capital immobilisé, une partie des coûts futurs de démantèlement du parc nucléaire et de gestion des déchets (15/40ème), des investissements de l’année et des coûts de fonctionnement. Les points de débat majeurs tournent autour de la valorisation du capital et de la prise en compte des investissements dans le calcul.
Tout d’abord, le projet de décret prévoit que ce soit le gouvernement qui fixe le taux de rémunération du capital, il échappera donc aux évaluations de la CRE. Le point le plus discuté est cependant d’utiliser un parc virtuel qui revient à amortir l’ensemble du parc sur les 10 ans qui viennent alors même que 40 % des réacteurs n’auront pas 40 ans en 2025 et qu’il y a débat sur la durée de vie des centrales. L’Autorité de la concurrence considère que cela revient de fait à amortir « en accéléré » pour permettre à EDF d’être en capacité de renouveler le parc nucléaire dès 2025.
Les investissements dans le parc sont pris intégralement l’année où ils sont réalisés et sans tenir compte de leur durée d’amortissement réelle. Le consommateur d’aujourd’hui finance intégralement des équipements qui seront dans les faits amortis sur 10 ou 20 ans dans les comptes d’EDF. L’Autorité de la concurrence souligne et insiste sur le fait que la méthode utilisée revient à faire financer les investissements futurs d’EDF par les acheteurs d’Arenh et les consommateurs soumis aux tarifs réglementés de vente de l’électricité. Ce qui de fait pérenniserait la place dominante d’EDF dans la production (pour eux il n’y a que le nucléaire…). En résumé, ce qui devait être un partage de la rente d’EDF deviendrait le financement d’EDF. Ces points d’achoppement expliquent-ils que la discussion avec la Commission européenne démarrée en octobre n’ait toujours pas abouti ?
Photo : saut d’obstacles (xlibber/Flickr/cc)