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Banc des Poissons, Cagnes-sur-Mer, 2013. M. Maselli/2013/CC BY 2.0

Alors qu’EDF vantait devant les médias les mérites de la Force d’action rapide du nucléaire (FARN) à Paluel, un banc de sardines est venu narguer l’exploitant de la centrale nucléaire normande en s’amassant dans les prises d’eau des réacteurs, affectant leur capacité de refroidissement. Un incident que EDF a soigneusement dissimulé aux journalistes présents.

A l’approche des dix ans de l’accident nucléaire de Fukushima au Japon, EDF a organisé un voyage de presse à la centrale nucléaire de Paluel (Seine-Maritime) mercredi 20 janvier pour montrer les prouesses de sa Force d’action rapide du nucléaire. Constituée de 300 agents EDF, la FARN est l’unité de secours d’EDF qui doit éviter l’accident nucléaire majeur, en fournissant l’eau et l’électricité qui manqueraient aux réacteurs, en cas notamment de catastrophe naturelle. Cet exercice de communication vise à prouver que EDF fait tout son possible pour éviter un scénario à la Fukushima en France. Mais alors que les journalistes sont dans la centrale pour cette opération « transparence », EDF va passer sous silence un incident en cours.

 

Les « équipes de choc » d’EDF en mettent plein la vue aux journalistes

 

Pour les nombreux médias nationaux présents cette journée à la centrale de Paluel, EDF a préparé « une scénographie digne d’Hollywood », rapporte Les Echos. La centrale nucléaire en bord de mer essuie une tempête et des inondations. L’électricité et les routes sont coupées et un réacteur n’est plus alimenté en eau, ni en électricité. Face aux journalistes, « les équipes de choc » d’EDF multiplient les exploits. Un hélicoptère dépose un groupe électrogène à la centrale, un véhicule doté d’un bras articulé dégage une voie d’accès des débris amenés par la tempête, un tuyau est tiré pour alimenter en eau le réacteur qui s’échauffe dangereusement. Pendant que dans le simulateur du réacteur en détresse, des agents EDF affrontent avec calme les défaillances. « La mission est réussie », annonce le directeur de la FARN à l’AFP.

 

Copie d’écran du reportage de TF1 du 22.01 consacré à la FARN à Paluel.

 

Un banc de sardines met à genoux la centrale nucléaire de Paluel

 

Mais pendant qu’EDF mettait en scène la FARN, elle a tu aux journalistes un incident bien réel qui se déroulait depuis la veille dans la centrale et qui conduira en fin de journée à l’arrêt des réacteurs.

La veille du voyage de presse, des quantités importantes de sardines s’engouffrent dans les prises d’eau en bord de mer de la centrale nucléaire, où est puisée l’eau nécessaire au refroidissement des réacteurs. Si l’incident est beaucoup moins spectaculaire que le scénario catastrophe d’EDF que vont affronter les équipiers de la FARN, il n’en est pas moins préoccupant et complètement imprévu. En s’entassant dans la station de pompage de la centrale nucléaire, les poissons affectent la capacité de refroidissement des réacteurs.

Des tonnes de sardines se sont agglutinées dans des « tambours filtrants » : de gigantesques filtres d’un diamètre de plus de vingt mètres par lesquels l’eau est acheminée à la centrale. Trois réacteurs sur les quatre que compte la centrale doivent diminuer leur production dans la soirée du mardi 19 janvier. Pour se débarrasser des poissons, EDF a recours à « une entreprise spécialisée », relate le site d’information Actu. Pourquoi ne pas faire appel à la FARN, alors qu’elle est sur place et que le « superpompier du nucléaire » a justement été créé pour affronter les imprévus ?

Le mercredi, alors que la presse est présente pour admirer la FARN, les sardines relâchent leur étau sur la centrale mais la production du réacteur n°4 reste fortement bridée1. Ironie du sort : lors de la simulation de crise, le même réacteur n°4 doit être alimenté en urgence en eau par la FARN pour le refroidir. Après le départ des journalistes, l’afflux des poissons est tel qu’il provoque l’arrêt complet des quatre réacteurs de 1300 MW de la centrale nucléaire mercredi dans la soirée.

 

Quatre journalistes confirment n’avoir reçu sur place aucune information d’EDF sur les sardines

 

EDF ne va piper mot de l’incident à la presse présente à Paluel. Quatre journalistes ont confirmé au Journal de l’énergie n’avoir reçu aucune information d’EDF sur place à ce sujet. «Ils n’avaient pas trop envie de gâcher leur opération de com, on ne l’a appris qu’après coup », nous a confié l’envoyé spécial d’un quotidien national.

Alors que l’incident a débuté mardi soir, EDF n’a communiqué à ce sujet que mercredi soir, après l’arrêt des réacteurs. Le voyage de presse s’est terminé le même jour à 14h. Plusieurs journalistes pensaient que l’incident avait eu lieu après leur passage à la centrale alors que les sardines semaient la pagaille depuis la veille de leur arrivée et qu’un réacteur était toujours bridé pendant l’exercice de la FARN.

Les différents articles et reportages tirés du voyage de presse que nous avons pu parcourir ne rapportent que les performances, virtuelles, de la FARN. L’incident réel, lui, n’est cité nulle part parce que EDF n’a pas jugé utile d’en parler. Interrogé sur ce silence, EDF n’a pas répondu à nos questions et s’est contentée de nous transmettre le communiqué annonçant le redémarrage des réacteurs jeudi 21 janvier. Une sacrée leçon de transparence alors que le réacteur le plus touché par des incidents graves ces dix dernières années sur le parc nucléaire français se trouve à Paluel.

 


 

 

 

Article mis à jour le 27 janvier 2021 à 11h09 : précision sur les poissons incriminés et modification du titre pour en tenir compte.