Partager : [ssba]
Iñigo/Kobe Japon/2008/CC BY-NC-ND 2.0

TRIBUNE. La fermeture promise de la centrale nucléaire de Fessenheim met en évidence la façon dont le problème de la sismicité des sites nucléaires est considéré en France. S’il est certain que lors de leur conception dans les années 1970, les centrales nucléaires françaises ont pris en compte les paramètres sismiques dans les sites envisagés d’implantation, il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui, EDF s’appuie sur des études trop anciennes pour éviter de devoir renforcer la résistance de ses réacteurs au risque sismique. Le cas de la centrale de Fessenheim est éclairant sur ce point.

 

Par Jean-Marie Brom

 

I. La règle RFS 2001-01 et le guide ASN 2/01 de 2006

 

La problématique du séisme est encadrée par la Règle Fondamentale de Sûreté (RFS 2001-01) élaborée par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en 2001 (la règlementation précédente datait de 1984). Pour résumer, la RFS 2001-01 repose sur l’évaluation de l’aléa sismique au voisinage d’un site nucléaire à l’aide de :

– L’étude sismologique (nature du sous-sol, identification de failles…).

– La caractérisation de l’activité de la zone considérée (séisme de référence, fréquence des séismes).

– La modélisation des effets de séismes sur le site.

 

Pour ce qui est des séismes de référence, du point de vue de la magnitude, on va définir :

– Le Séisme Maximal Historiquement Connu (SMHC) en remontant – si possible – sur un millier d’années au moins – en se basant sur des chroniques, et en y ajoutant le cas échéant les paléoséismes (datant de la préhistoire), si des traces en sont restées visibles.

– Le Séisme Maximal Historiquement Vraisemblable (SMHV), en positionnant le SMHC directement sous le site, ou du moins à un endroit conduisant au maximum d’intensité.

– Le Séisme Majoré de Sécurité (SMS), en augmentant la magnitude du SMHV de 0,5.

 

L’on modélise ensuite les effets possibles du SMS pour évaluer au mieux les conséquences en termes de fréquences d’oscillations et surtout d’accélérations locales dues à un tel séisme sur la centrale nucléaire. Le guide ASN 2/01 de 2006 définit de telles modalités, ainsi que les mesures parasismiques à prendre selon le type de matériaux, les bâtiments, les équipements…

 

Lexique

Magnitude M ou Magnitude de moment (notée également MW) : la magnitude est une mesure associée à l’énergie sismique libérée lors du séisme. A ne pas confondre avec l’intensité d’un séisme, qui est la mesure (locale) des effets d’un séisme. L’échelle de magnitude est logarithmique, ce qui signifie qu’une élévation d’un degré en magnitude correspond à une amplitude de mouvement 10 fois plus grande, mais aussi à une énergie libérée 30 fois plus importante. A titre de comparaison, l’énergie libérée par la bombe de Hiroshima correspondrait à une magnitude M = 5 à 6 (mais en profondeur…).

Fréquence des ondes sismiques : le sous-sol ayant une relative élasticité, un séisme va générer des trains d’ondes (compression et cisaillement en sous-sol, ainsi qu’ondes de surface) dont l’amplitude va décroître en fonction de la distance à l’épicentre. La fréquence des ondes sismiques va varier (augmentation ou diminution) en fonction des matériaux constituant le sous-sol. En particulier, les ondes de surface feront subir au sol un mouvement d’oscillation qui, selon son amplitude et sa fréquence, occasionnera les dommages constatés.

Accélération : localement, les ondes sismiques vont engendrer des déplacements du sol qui vont faire vibrer les bâtiments et équipements. On représente ces mouvements par un « spectre de réponse élastique » qui permet de déterminer, selon les fréquences propres des bâtiments et des équipements, l’accélération (et donc la force) maximale à laquelle ils sont soumis. Cette accélération (en m/s2) est représentée en fonction de g = 9,81 m/s2. Dans le cas de Fessenheim, la règle RFS 2001-01 considère que le Séisme Majoré de Sûreté (SMS) engendrerait des accélérations locales maximales de 0,2g.

 

Il est clair que l’ensemble des études sur le risque sismique sont des processus évoluant avec l’acquisition des connaissances : les recherches historiques peuvent mener à des majorations, voire des minorations sur l’intensité et la magnitude possible du SMHC. Les méthodes de modélisation s’affinent, de même que la connaissance des systèmes de failles et de la nature du sous-sol. Et donc, pour chaque visite décennale de centrale nucléaire, l’aléa sismique doit être réévalué…en théorie…

On peut encore mentionner que dans le cas du nucléaire français, l’évaluation qui a été faite repose sur une approche déterministe : le SMHC est supposé pouvoir se reproduire en tout point de la zone sismotectonique considérée (la zone sismotectonique étant une zone où la probabilité d’occurrence d’un séisme de caractéristiques données – magnitude, profondeur – peut être considérée homogène). Le problème est que la définition de telles zones s’affine avec les connaissances.

Aujourd’hui, la sismologie se tourne vers une approche probabiliste. On évalue la probabilité qu’un mouvement sismique donné se produise au moins une fois en un endroit et une période de temps donné, la période de retour préconisée étant de 475 ans. Le principe de base est que, dans une zone sismotectonique donnée, il existe une relation linéaire entre le nombre de séismes dépassant une certaine magnitude et cette magnitude : ainsi, un séisme de plus forte magnitude aura plus de chances de se reproduire qu’un séisme de plus faible magnitude. On utilise d’ailleurs cette méthode pour des séismes de magnitude supérieure à M = 4 à 5. Utilisant cette relation et des calculs d’atténuation du mouvement sismique avec la distance (ce qui demande une bonne connaissance du sous-sol), il est possible de calculer en tout point du territoire les accélérations maximales du sol associées. On peut voir les résultats des deux approches sur le zonage sismique de la France (déterministe en 1991, probabiliste en 2011) sur la Figure 1.

 

Figure 1 A gauche, carte du zonage sismique de la France métropolitaine établi en 1991. A droite, carte du zonage sismique de la France métropolitaine en vigueur depuis le 1er mai 2011. IRSN

 

 

II. Le cas de Fessenheim

 

Pour ce qui est de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), le séisme de référence a bien évidemment été celui qui a frappé la ville de Bâle, en Suisse, le 18 octobre 1356 (à 37 kilomètres du site de Fessenheim). Les recherches effectuées dans les années 1970-1975 et qui se fondaient essentiellement sur des chroniques religieuses, ont donné une estimation de Magnitude M = 6,2 pour ce séisme (SMHC), avec un épicentre situé sous le Jura suisse à environ 15 km au sud de Bâle. Compte tenu des connaissances géologiques de l’époque (absence de faille similaire sous le site, et différences de morphologie – granitique versus alluviale), il n’a pas été jugé utile de repositionner le SMHC sous le site de la centrale nucléaire.
EDF en est donc restée à un Séisme Majoré de Sûreté de magnitude M = 6,7 : 6,2 + 0,5.

Par la suite, dans le cadre du dossier de sûreté de la deuxième visite décennale (en 2002), de nouvelles évaluations ont été faites, au regard de l’évolution des connaissances géologiques autant que historiques :

– par EDF : SMHC de magnitude M = 6,2 avec épicentre à 34 km au sud de la centrale (soit plus loin de la centrale).

– par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) : SMHC de magnitude M = 6,0 avec épicentre à 29 km au sud de la centrale.

 

Les deux études concluaient à l’impossibilité pour un tel séisme de se produire directement sous la centrale, en raison des différences géologiques et de l’absence de faille suffisamment importante.

Durant cette période, l’on a pu noter un nombre conséquent d’incidents liés à la protection sismique de la centrale (ancrage insuffisant des générateurs de vapeur ou d’armoires électriques, vieillissement prématuré d’amortisseurs de bâches, défauts liés à la résistance aux séismes des diesels de secours…). Mais rien qui puisse remettre en cause la confiance de l’exploitant, ni dans les mesures prises, ni dans l’estimation du SMS.

Dans le cadre de la troisième visite décennale de la centrale (en 2011), une réévaluation de l’aléa sismique a été faite par EDF (magnitude de M = 6,2, sans évolution), cependant que l’IRSN revoyait sa copie avec une magnitude estimée à M = 6,8 pour le séisme de Bâle.

 

III. L’étude Résonance de 2007 et son actualisation en 2011

 

En 2007, les Départements de la santé des cantons suisses de Bâle et du Jura mandatent le bureau d’études genevois Résonance Ingénieurs-Conseils pour « une expertise concernant l’aléa sismique dans le fossé rhénan supérieur. » L’objectif étant de savoir si « la sûreté sismique de la centrale nucléaire française de Fessenheim correspond à l’état actuel de la science et/ou de la technique. » (Les citations sont tirées du rapport final du bureau d’études Résonance).

Pour ce qui est de la première question (l’aléa sismique dans le fossé rhénan supérieur), le bureau d’études Résonance évoque les études françaises du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM) en 1998 (étude déterministe donnant M= 6,2 à une distance de 30 km) et GEO-TER de 2002, effectuée dans le cadre de la modification du zonage sismique de la France (étude probabiliste donnant M= 6,0 à une distance de 30 km). Les deux approches donnent dans ce cas précis des résultats quasi-identiques, ce qui n’est pas trop étonnant, comme on peut le voir sur les deux cartes de zonage de la Figure 1. Mais il est vrai que ces études s’intéressaient d’abord au territoire français, avec une faible prise en compte des failles situées à une certaine distance des frontières allemande et suisse. La centrale de Fessenheim est située au bord du Grand Canal d’Alsace, à une centaine de mètres de la frontière allemande, et à une trentaine de kilomètres de la frontière suisse.

Le bureau d’études Résonance s’est également penché sur l’étude allemande probabiliste réalisée par le GeoForschungsZentrum de Potsdam (étude GFZ 2006) qui donnait pour résultat une magnitude estimée pour le séisme de Bâle de 6,6 et une distance pour l’épicentre de 30 à 40 km de la centrale de Fessenheim.

Enfin, le bureau Résonance mentionne deux études suisses :

– L’étude réalisée par le Service Sismologique Suisse en 2004 donnant une magnitude M = 6,9 avec une distance à la centrale de 10 à 20 km.

– L’étude PEGASOS réalisée entre 2002 et 2004 qui avait comme objectif principal la détermination probabiliste de l’aléa sismique des quatre sites de centrales nucléaires en Suisse. Trois de ces quatre sites étant situés au nord-ouest de la Suisse (Figure 2), le séisme de Bâle de 1356 a donc été étudié de manière approfondie, en s’appuyant sur un nombre plus important de sources écrites, découvertes plus récemment.

 

Figure 2 Carte des centrales nucléaires en Suisse. 2010/CC BY-SA 3.0/Wikipedia

 

Cette étude, qui s’est déroulée selon les directives du SSHAC (Senior Seismic Hazard Analysis Committee), a impliqué une dépense de plus de 10 millions de francs suisses, et le concours de 21 experts européens travaillant dans trois sous-projets : caractérisation de la source (quatre groupes de trois experts), relations d’atténuation (cinq experts) et effets de site (quatre experts). Compte-tenu de ces caractéristiques (2100 journées de travail au moins), le bureau d’études Résonance estime que « la fiabilité des résultats de PEGASOS est plus élevée que celle des autres études. »

En résumé, les résultats des quatre groupes d’experts chargés de caractériser la source ont été les suivants:

– Premier groupe d’experts : magnitude M = 6,9 et distance estimée entre 2 et 5 km
(à 44 % de probabilité), ou 15 km (26 %), ou plus de 30 km (30 %).

– Second groupe d’experts : magnitude M = 6,9 et distance estimée entre 5 à 10 km
(à 40 % de probabilité) ou 30 à 40 km (60 %).

– Troisième groupe d’experts : magnitude M = 6,5 à 6,9 et épicentre à environ 10 km
de la centrale.

– Quatrième groupe d’experts : magnitude M = 6,5 +/- 0,5, avec une distance entre 10 et 30 km.

 

Il est en outre à noter que les études d’EDF se placent dans un cadre déterministe (on estime que le séisme de référence serait identique à celui de Bâle), alors que les autres études sont probabilistes (estimation que le séisme identique à celui de Bâle pourrait se placer dans une zone plus critique pour la centrale).

De surcroît, le bureau d’études considère que le sous-sol (alluvionnaire) de la centrale de Fessenheim aurait certainement un effet amplificateur en cas de séisme local (effet « pudding »), avec une influence notable sur les accélérations locales.

Pour ce qui est de la deuxième question : savoir si « la sûreté sismique de la centrale nucléaire française de Fessenheim correspond à l’état actuel de la science et/ou de la technique », le bureau Résonance note que « les questions concernant la résistance sismique des structures clef de la centrale nucléaire de Fessenheim n’ont pas pu être traitées de façon concrète par manque d’informations à disposition. » On appréciera le langage diplomatique. En d’autres termes, EDF n’a pas daigné mettre à la disposition du bureau Résonance les documents demandés…

 

« Il est clair que si la centrale nucléaire était à reconstruire aujourd’hui, elle devrait être dimensionnée pour un séisme sensiblement plus fort par rapport au séisme de dimensionnement de l’époque. »

 

Pour résumer, le bureau Résonance note que « la réévaluation de l’aléa sismique, telle que proposée, jusqu’à présent, par EDF en vue de la 3ème visite décennale de la centrale nucléaire de Fessenheim, mène à une sous-estimation prononcée de l’aléa et n’est donc pas acceptable. Le même constat est valable, dans une moindre mesure, pour la réévaluation de l’aléa proposée par l’IRSN. »

Pour ce qui concerne la résistance de la centrale elle-même vis-à-vis d’un SMS, le bureau d’études Résonance ne se prononce pas : essentiellement par manque d’informations. S’il est impossible d’affirmer que la centrale résisterait à des accélérations de l’ordre de 0,2 g (critère de sûreté pris lors de la conception de la centrale), il est également impossible d’affirmer le contraire. Il n’en reste pas moins que « il est clair que si la centrale nucléaire était à reconstruire aujourd’hui, elle devrait être dimensionnée pour un séisme sensiblement plus fort par rapport au séisme de dimensionnement de l’époque. »

En septembre 2011, le bureau Résonance a publié un nouveau document : Centrale nucléaire de Fessenheim : Evaluation du risque sismique au regard de la catastrophe de Fukushima (Japon). Il ressort de ce document que « une des leçons à tirer de cet événement est qu’il faudrait, pour les installations nucléaires, évaluer l’impact d’un séisme, dont les accélérations dépassent celles de dimensionnement, en particulier pour s’assurer de la mise en sécurité des éléments vitaux des centrales nucléaires (comme les systèmes de refroidissement, par exemple), afin d’éviter un accident nucléaire majeur. En effet, l’évènement de Fukushima a montré qu’un séisme peut avoir des effets majeurs pour des systèmes auxiliaires qui ont une importance pour le fonctionnement de l’installation nucléaire. Il semble que la combinaison d’un séisme et de ses effets induits (en particulier le risque d’inondation) dans les études de risque des installations nucléaires n’a pas, ou pas suffisamment, été étudiée jusqu’à présent. »

Dans sa conclusion, le cabinet d’ingénieurs genevois estime que « cet événement ne justifie aucune adaptation, précision ou complément à l’expertise de 2007 du bureau Résonance. Les conclusions de cette étude restent en tous points valables.»

 

IV. La suite…

 

L’étude du bureau d’études Résonance a été présentée lors d’une réunion de la Commission Locale d’Information et de Surveillance (CLIS) de Fessenheim.
L’IRSN, de son côté, a publié un Avis sur le rapport RESONANCE relatif au risque sismique sur le site de Fessenheim, qui reprend ses estimations de 2008 (magnitude M = 6,2 à 6,9), donc ne contredisant pas les valeurs données par Résonance, et indique que « une grande partie des éléments évoqués dans le rapport de RESONANCE (prise en compte du séisme proche, réévaluation des magnitudes, définition des limites des zones sismotectoniques, incertitudes sur les relations statistiques) sont actuellement analysés en détail dans le cadre d’un groupe de travail (dont les travaux ont débuté fin 2005) piloté par l’ASN. » L’IRSN, dans une certaine mesure reconnaît donc que les estimations – anciennes, bien que remises au goût du jour par EDF – ne sont plus d’actualité, et que « en tout état de cause, un diagnostic sismique visant à évaluer le niveau de sûreté des structures et des équipements à l’égard d’un mouvement de sol réévalué implique de mobiliser des moyens d’études conséquents, ce qui ne peut être envisagé que dans le cadre d’un réexamen de sûreté de l’installation. »

C’est également ce qui a été promis par EDF lors de la présentation des résultats du cabinet Résonance à la CLIS de Fessenheim : une nouvelle étude serait effectuée dans le cadre de la préparation de la quatrième visite décennale (prévue pour 2020-2021). Moins d’un an plus tard, François Hollande, candidat à la présidence de la République annonçait dans sa proposition n° 41 : « je fermerai la centrale de Fessenheim […]. » Compte-tenu de cette promesse, il semble bien qu’aucune étude nouvelle n’ait été entreprise concernant la sismicité du site. Mais la promesse n°41 du candidat Hollande n’a pas été tenue…

 

V. La digue du Grand Canal d’Alsace

 

Une des vulnérabilités de la centrale nucléaire de Fessenheim est que son plancher se situe à environ huit mètres sous le niveau du Grand Canal d’Alsace, qui assure son refroidissement, avec un débit moyen de l’ordre de 1000 m3/s. Cela pose le problème d’une rupture éventuelle de la digue du Grand Canal – datant des années 1950 – avec les conséquences que l’on peut imaginer. En 2002, l’IRSN avait examiné la stabilité de la digue « sous séisme » et avait conclu à un comportement satisfaisant (quelques m3/s de fuites à l’interstice des plaques de béton qui protègent la digue de gravier). Dans le cadre de la troisième visite décennale du site (2011), EDF a quand même mis en place une mesure : une levée de terre d’une trentaine de centimètres entourant la centrale, pompeusement nommée « talus de protection de la plateforme. »

A la suite de la catastrophe de Fukushima, le 5 mai 2011, dans le cadre des Evaluations Complémentaires de Sûreté (ECS), L’ASN demande à EDF spécifiquement que « soient examinées les conséquences de la rupture des digues du grand canal d’Alsace à proximité du site de Fessenheim. » Demande renouvelée le 8 juillet 2011 : « Pour certains ouvrages, notamment les digues du Grand Canal d’Alsace à Fessenheim ou du canal de Donzère longeant le site du Tricastin, dont le risque de rupture présente un enjeu important, vous ne postulez pas la rupture, ni de façon intrinsèque, ni en cas de séisme, compte tenu de dispositions de protection et de surveillance […]. L’ASN vous demande d’examiner les conséquences pour vos installations de la perte progressive des moyens de protection du site à l’égard des inondations. Vous apprécierez la nécessité de mettre en place des moyens de prévention et de limitation des conséquences d’une telle perte sur le site. En particulier, l’ASN vous demande d’examiner les conséquences de la rupture des digues du Grand CanaI d’Alsace à proximité du site de Fessenheim […]. »

L’exigence semble claire : l’ASN demande explicitement d’étudier les conséquences d’une rupture de la digue, et pas d’étudier la probabilité d’une telle rupture en cas de séisme. De toute manière, il ne faut pas être grand clerc pour imaginer l’impact sur le site de la libération soudaine de 1000 m3/s… La réponse d’EDF est on ne peut plus claire (dans un rapport sur les ECS pour Fessenheim en septembre 2011) : « En cas de séisme, la stabilité des digues du Grand Canal d’Alsace n’est pas remise en cause, mais des résurgences sont susceptibles d’apparaître… » Il est vrai qu’un peu plus loin, EDF constate que « les conséquences potentielles [d’une rupture de la digue] seraient la présence d’une lame d’eau sur le site, susceptible d’engendrer un scénario de perte totale des alimentations électriques externes et internes, ainsi que la perte potentielle d’autres matériels de l’îlot nucléaire. » Autrement dit : Fukushima en Alsace. Les antinucléaires locaux ont d’ailleurs imaginé un nouveau nom pour la centrale : « Fukusenheim »…

Face à ce risque reconnu, EDF propose de « réaliser une étude visant à déterminer la réalité d’un risque de lame d’eau sur les plate-formes de de l’îlot nucléaire […]. Au vu de ses résultats, EDF déterminera s’il est nécessaire de mettre en place des précautions supplémentaires. » Nous étions en septembre 2011.
En juin 2012 (on appréciera la réactivité…), l’ASN a prescrit à EDF une telle étude à réaliser avant le 31 décembre 2013. Fin 2015, par lettre à l’auteur de cet article, l’ASN précise que « EDF a remis l’étude demandée avant le 31 décembre 2013. Cette réponse est en cours d’expertise par l’IRSN et à terme l’ASN prendra position sur ce sujet. » A l’heure de ce document, aucune prise de position connue… L’affaire du Grand Canal semble s’être arrêtée avec cette lettre…

 

VI. Pour en finir…

 

Le 19 février 2019, l’ASN lève toutes les modifications concernant la sûreté de la centrale de Fessenheim (bunkérisation de la salle de contrôle, diesels d’ultime secours…) pourtant exigées avant le 31 décembre 2018, considérant que « dans la perspective annoncée par EDF d’un arrêt définitif des réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim avant l’échéance de leur quatrième réexamen périodique, les prescriptions adoptées par l’Autorité de sûreté nucléaire à la suite des évaluations complémentaires de sûreté doivent être réexaminées et adaptées à la nouvelle situation de l’installation. »

Le reste, ce sera pour les historiens…

 


 

 

Jean-Marie Brom est directeur de Recherches au CNRS en Physique des Particules et militant antinucléaire de longue date.