Un incident à la centrale nucléaire de Cattenom le 28 mai a provoqué la mise en alerte des pouvoirs publics et des services de sûreté nucléaire. Un tel incident n’était jamais arrivé sur un réacteur français. Que s’est-il passé ?
Le directeur de la centrale nucléaire de Cattenom (Moselle) a déclenché un plan d’urgence interne (PUI) à la suite d’une fuite de vapeur dans l’atmosphère provenant du circuit secondaire[1] du réacteur nucléaire n°1. Cette mesure d’urgence qui, selon les autorités, « vise à ramener l’installation à un état sûr et à éviter des conséquences à l’extérieur du site » n’est pas banale. Le plan d’urgence a entraîné automatiquement l’activation de cellules de crise dans les services de sûreté nucléaire (Autorité de sûreté nucléaire [ASN] et Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire [IRSN]), au centre de crise national d’EDF et à la préfecture dont dépend la centrale. De plus, les ministères français de l’Environnement et de l’Intérieur et les autorités du Luxembourg et de l’Allemagne, dont les frontières sont à moins de 20 kilomètres de la centrale, ont été informés de la crise.
« Aucun incident n’est anodin »
Lors de l’incident, EDF a annoncé avoir déclenché son plan d’urgence « à titre préventif », une expression qui pourrait laisser croire au caractère facultatif du déclenchement du PUI. Mais point d’excès de zèle de la part de l’électricien, qui n’a pas eu le choix. Le plan d’urgence devait obligatoirement être mis en œuvre par l’opérateur : la fuite de vapeur, qui a duré environ 30 minutes, a perturbé des paramètres clés de la sûreté du réacteur[2]. « Aucun incident n’est anodin » selon Vincent Blanchard, l’adjoint au chef de la division de Strasbourg de l’ASN, qui surveille la centrale de Cattenom. Celui-ci ne déroge pas à la règle. L’incident s’est produit sur une canalisation qui contribue « à l’accomplissement des fonctions fondamentales de sûreté » du réacteur nucléaire, selon un document interne à EDF que le Journal de l’énergie a pu consulter. La fuite de vapeur s’est produite à cause d’une vanne (un robinet) restée « bloquée ouverte » lors du redémarrage du réacteur. Ce simple robinet qu’on n’arrivait plus à fermer sur le circuit secondaire a provoqué la mise en route de systèmes de secours de refroidissement du cœur du réacteur nucléaire[3].
Pour autant, les opérateurs d’EDF savaient, dès le début de l’incident, qu’ils disposaient d’une deuxième vanne pour stopper la fuite. La crise a été « gérée dans la sérénité » selon l’ASN et l’IRSN estime que les équipes d’EDF ont « correctement réagi ».
Le plan d’urgence s’est déclenché à Cattenom alors qu’une simulation de crise nucléaire au niveau national avait lieu simultanément à la centrale nucléaire de Chinon (Indre-et-Loire), le personnel était déjà à son poste. L’exercice de crise a été stoppé sur-le-champ. Des mauvais esprits s’interrogent : comment aurait été appréhendée la crise s’il y avait eu deux urgences nucléaires réelles à gérer en même temps ?
L’ASN enquête afin de déterminer si l’incident peut se reproduire sur d’autres réacteurs
Selon les premières analyses de l’ASN, une panne matérielle est à l’origine de la fuite sur l’appareil (un positionneur) qui commande l’ouverture de la vanne. Il ne s’agirait a priori ni d’un défaut de maintenance ni d’un problème de réglage. Cet appareil est présent sur les trois autres réacteurs de Cattenom et d’autres réacteurs en France. La panne peut-elle se produire sur un autre réacteur, transformant alors l’incident isolé en défaut générique ? « La question est examinée », nous a confié Vincent Blanchard. La pièce responsable de l’incident a été renvoyée par EDF chez son fabricant pour analyse de la panne.
Un incident inédit sur un réacteur nucléaire en France
Un autre élément montre que l’incident n’était pas ordinaire : la fuite de vapeur a provoqué une dépressurisation importante et rapide du circuit secondaire. Un générateur de vapeur[4] a été « fortement sollicité » en raison de la différence de pression importante entre le circuit secondaire et primaire. Les inspecteurs de l’ASN et EDF tentent de savoir si ce générateur de vapeur âgé d’une trentaine d’années[5] a été fragilisé par l’incident, qui a duré environ quatre heures. Selon Frédéric Ménage qui dirigeait le centre d’urgence de l’IRSN au moment de la crise, cet incident ne s’était jamais produit sur un réacteur nucléaire en France dans ces conditions.
Y a t-il eu des rejets radioactifs dans l’environnement ?
Le réacteur a été maintenu à l’arrêt et son redémarrage n’est pas d’actualité tant que l’ASN ne se sera pas assurée que l’incident ne peut se reproduire et que le réacteur n’a pas subi de dommages. Le Réseau Sortir du nucléaire souligne dans une note publiée sur son site que cet incident peut conduire à « l’apparition de la crise d’ébullition et la fusion à cœur de la pastille de combustible suite à l’augmentation de puissance ». Les antinucléaires dénoncent aussi l’affirmation répétée à l’unisson par EDF, la préfecture et l’ASN selon laquelle « Il n’y a pas eu de rejets radioactifs dans l’environnement » le 28 mai à Cattenom. La fuite de vapeur dans l’environnement provenait du circuit secondaire, fréquemment contaminé à des niveaux très faibles de radioactivité issue du réacteur. Il est fort probable que cette radioactivité ait été rejetée dans l’environnement mais son faible niveau pourrait expliquer qu’elle n’ait pas été détectée à l’extérieur de la centrale. Qu’il ait eu lieu ou non, ce rejet incontrôlé de radioactivité artificielle serait infiniment plus faible que les rejets effectués légalement tous les jours par la centrale de Cattenom dans l’air et dans l’eau.
Plus prompt à rassurer qu’à informer, EDF affirme ne pas avoir « d’inquiétude spécifique » concernant l’incident, classé provisoirement par l’ASN au niveau 1 de l’échelle INES. Pour preuve, trois jours après le plan d’urgence nucléaire, EDF conviait enfants et parents à la centrale nucléaire de Cattenom à participer à des activités en plein air lors d’une journée « portes ouvertes » baptisée « La centrale en fête ».
La centrale en fête: pas de soleil mais des enfants plein d’énergie pour relever les défis sportifs! pic.twitter.com/6d5o2EkByh
— EDF Cattenom (@EDFCattenom) 31 Mai 2015
[1] Le circuit secondaire extrait sous forme de vapeur la chaleur produite par la fission nucléaire dans le circuit primaire où se situe le combustible nucléaire. Les deux circuits communiquent par l’intermédiaire d’échangeurs de chaleur appelés générateurs de vapeur.
[2] Un écart de pression entre les générateurs de vapeur supérieur à 10 bars.
[3] L’impossibilité de refroidir le cœur conduit à l’accident nucléaire majeur. https://journaldelenergie.com/nucleaire/surete-nucleaire-des-failles-clairement-identifiees/
[4]Le générateur de vapeur est un échangeur de chaleur situé entre le circuit primaire et le circuit secondaire qui produit de la vapeur destinée à faire tourner les turbines du réacteur.
[5] Ce générateur de vapeur possède les tubes les plus dégradés des quatre générateurs de vapeur du réacteur n°1 (23 % des tubes de ce générateur de vapeur étaient fissurés en pied de tube). Voir ce lien sur le sujet : http://professionnels.asn.fr/Installations-nucleaires/Centrales-nucleaires/Generateurs-de-vapeur-des-centrales-nucleaires
Photo : centrale nucléaire de Cattenom, février 2011 (Liquid Oh/CC/Flickr).